dimanche 6 avril 2014

Une petit étincelle... pour la physiologie

Il y a 14 ans, j'entrais en école de sages-femmes.
Il y a 10 ans, je quittais l'école de sages-femmes.
J'y ai appris énormément de choses, à la fois théoriques et pratiques. J'ai eu un nombre d'heures impressionnant en obstétrique, en gynécologie, en pédiatrie, mais également en bactériologie, en parasitologie, en psychologie, sociologie, sexologie... La pharmacologie et le droit étaient également au programme, de même que la santé publique et l'anesthésiologie. 
En stages, j'ai effectué beaucoup d'heures dans divers maternités de niveau 3 (adaptées pour la prise en charge des pathologies maternelles et fœtales et la réanimation des grands prématurés), un peu moins dans les niveaux 2 (pathologies et prématurité moins graves) et quelques unes en niveau 1 (officiellement pas de pathologie et pas de prématurés... en tout cas, pas de prévus).  Les stages en "salle d'accouchement" étaient alors les plus fréquents (un stage sur deux se passait en salle d'accouchement, ce qui n'est plus forcément le cas dans le programme actuel). J'avais donc une certaine expérience du suivi de travail et de l'accouchement. Enfin, de l'accouchement médicalisé.

Je savais poser une perfusion de syntocinon, rompre une poche des eaux, pratiquer une épisiotomie et la suturer. J'avais pratiqué plusieurs délivrances artificielles et révisions utérines (lorsque le placenta ne sort pas de l'utérus et qu'il faut aller le chercher). 
J'avais principalement accompagné des femmes sous analgésie péridurale mais aussi quelques unes sans.

Bref, mes études de sage-femme avaient fait de moi une parfaite praticienne de la naissance médicalisée. A un détail près.

Lors de mon stage entre la troisième et la quatrième année d'école de sage-femme, j'avais choisi avec une amie d'aller dans une petite maternité du sud, au bord de la mer. Notre motivation principale n'était pas le moins du monde en rapport avec la maternité choisie mais bien avec sa proximité immédiate des plages. Et pour autant, c'est de là qu'est venue l'étincelle qui allait tout changer. 

C'était une petite maternité. La nuit, la sage-femme gérait à la fois la salle d'accouchement et le service des suites de couches (une quinzaine de lits, comme on dit). L'équipe était jeune et sympa. Mais tout aussi médicalisante que les autres équipes que j'avais rencontrées. Sauf une sage-femme. 
Une sage-femme qui, une nuit, me parla de l'accouchement sur le côté et me montra comment le mettre en pratique. En une nuit, je passai alors de l'ignorance crasse à la pratique, au cours de trois magnifiques accouchements, avec et sans péridurale, sur des primipares et des multipares. J'étais conquise, les femmes également. 

Le stage se finit et je retournai terminer mon année et mon cursus, sans plus pouvoir pratiquer cet accouchement "alternatif".

Diplômée, je rejoignis l'équipe de ma petite Maternité Adorée. 
Les sages-femmes y avaient une grande autonomie (les médecins assuraient les consultations en même temps que leur garde, ils ne pouvaient donc être tout le temps auprès de nous et étaient donc dans l'obligation de nous faire confiance) et les femmes y accouchaient très souvent sans péridurale (la "faute" principalement aux anesthésistes qui exigeaient un bilan de moins de 24 h... et qui assuraient également les urgences en plus de la maternité, autant dire que notre taux de péridurale n'était pas très élevé... mais pas forcément au grand plaisir des patientes). J'y ai donc découvert une forme de physiologie où il fallait bien trouver des solutions pour ces femmes algiques. Pour autant, elles accouchaient toutes en position gynécologiques. 

Au bout de six mois, je me sentais moins "novice" et l'envie de pratiquer des accouchements sur le côté me prit. Hésitante, craignant des plaintes des médecins, j'ai pas mal hésité. Et puis, un jour, aidée par une maman "ouverte" et confiante, je me suis lancée. Avec succès. La naissance se passa très bien, la maman était heureuse. 
Je recommençai, généralement les nuits et les week-end, d'abord avec des multipares sans péridurales, puis finalement des primipares, avec ou sans péridurale. Je pris confiance en moi. Et décidai alors que je ne voulais plus faire cela en cachette. Je me mis donc à le proposer même lorsque j'étais de jour, même lorsque les médecins étaient dans les parages. Je participais ainsi à l'accouchement de plusieurs femmes de médecins/médecins. Toutes étaient satisfaites et je n'avais que très peu d'échecs (principalement parce qu'il suffisait dans ce cas-là de repasser la dame sur le dos). 

A cette époque, la cadre de la Maternité Adorée exigeait que toutes les sages-femmes réalisent un "objectif" tous les ans : faire une revue de la littérature, participer à l'élaboration d'un protocole, recenser les livres de la bibliothèque médicale du service... Cela pouvait être varié. Les sages-femmes détestaient cela, n'y voyant qu'une contrainte de plus. Pour ma part, j'y voyais l'occasion de pouvoir faire avancer les choses. 

C'est ainsi qu'avec trois collègues, nous proposâmes à la cadre de faire un travail sur les positions pendant le travail, puis l'année suivante sur les positions d'accouchement
Nous étions toutes les quatre dans une mouvance de respect de la physiologie et il nous semblait que seul un vrai travail scientifique, documenté, permettrait aux médecins, ainsi qu'aux collègues récalcitrantes, de poser un regard neuf sur leurs pratiques. 

Nous étudiâmes tous les aspects possibles : histoire de la naissance, mécanique obstétricale, hormonologie, physiologie de la respiration et de la poussée, musculature périnéale...
La première année, nous proposâmes un organigramme à destination des patientes, qui fut (et est toujours) utilisé lors des cours de préparation à la naissance. Il s'agissait principalement de "guider" les patientes sans pour autant les enfermer dans un schéma. Il s'agissait également de proposer aux sages-femmes d'autres options que le "tout-dos", notamment quand la femme avait rompu la poche des eaux. Nous nous amusâmes beaucoup à prendre différentes photos avec ballons, coussins, draps, dans toutes les positions possibles afin d'illustrer notre propos. 
La seconde année, nous fîmes une enquête auprès des femmes afin de recueillir des données à présenter aux médecins. A travers une vingtaine d'accouchement (25-26 sur le côté et 1 accroupi, voir le billet précédent), nous leur montrâmes qu'il n'y avait pas plus de risques de déchirures, d'hémorragie qu'en position gynécologique, que les enfants se portaient bien et que les femmes étaient satisfaites. Deux films réalisés avec l'accord des femmes furent tournés afin de montrer aux médecins et sages-femmes la réalité d'un accouchement sur le côté. 

Nous présentâmes nos résultats au cours de deux soirées de colloques auxquels étaient conviés les professionnels de santé de l'hôpital mais également ceux exerçant en libéral. Même si certains restaient sceptiques (certains notamment mettaient en avant le fait d'être dans le dos de la femme, que cela avait un côté bestial...), la grande majorité reconnaissait que cela pouvait être une alternative intéressante. 

A la suite de ces présentations, plusieurs sages-femmes nous demandèrent de leur montrer comment installer une femme sur le côté pour un accouchement et se lancèrent. Ce fut le début d'un retour de la physiologie dans la maternité. Les femmes étaient toujours sous perfusion, le syntocinon coulait toujours à flot mais il y avait un début de réflexion et le systématique commença petit à petit à disparaitre de notre pratique, remplacé par une réflexion sur ce qui pourrait vraiment aider les femmes.

Lorsque je partis en mutation deux ans après ces travaux, le service s'était engagé dans un projet sur la mobilisation : de nouvelles tables d'accouchement avaient été testées puis achetées afin de mieux s'adapter aux différentes positions, toutes les sages-femmes allaient suivre une formation en mobilisation (formation Bernadette de Gasquet pour les initiés). 
Aujourd'hui, la maternité dispose d'un plateau technique où certaines sages-femmes libérales peuvent accompagner leurs patientes dans un respect total de la physiologie.

Je n'oserai jamais dire que tout ceci est arrivé grâce à mon passage dans cette maternité. Les échos des autres maternités montrent que c'est justement à cette période qu'une réflexion s'est mise en place sur la physiologie en maternité. Comme si de nombreuses sages-femmes en France avaient eu le "déclic" en même temps. On peut y voir plusieurs effets combinés : une prise de conscience des femmes de ce qu'elles souhaitaient, un ras-le-bol des sages-femmes du "tout standardisé", un matériel se mettant au service de la maternité (les ballons, les tables ne pouvant qu'inciter les plus récalcitrants à voir en quoi ils pouvaient bien être utile !)... Les choses semblaient prendre inexorablement une autre voie. Toute la question étaient alors de savoir quand cela toucherait une maternité. Notre maternité y était prête, il ne lui manquait que l'étincelle. Ce fut moi, cela aurait pu être n'importe laquelle des sages-femmes qui nous rejoignirent par la suite et qui étaient déjà dans cette mouvance.

(Pour autant, l'honnêteté m'oblige à nuancer ce propos : la physiologie est rentrée dans les maternités... du moins dans celles qui pouvaient le permettre. Il est évident que lorsqu'une maternité est un niveau 3 et ne gère que de grosses pathologies maternelles et fœtales, il est plus difficile de pouvoir la respecter : les déclenchements et césariennes y sont nombreux, les équipes sont surchargées de travail et leur esprit est principalement concentré sur le "hic-qui-ne-doit-pas-arriver". Difficile dans ces situations de s'autoriser, d'autoriser les femmes à cette liberté, à cette non-maîtrise que nécessite le respect de la physiologie. Mais, cela arrive et généralement, les sages-femmes essayent le plus possible de trouver des arrangements ;-)   ).

3 commentaires:

  1. Un seul mot, dont la taille ne sera jamais assez grosse: MERCI !
    (une femme qui compte bien accoucher de façon physiologique).

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  2. hum ... la physiologie réelle, c'est un peu autre chose que faire pivoter une femme en travail sur le côté ... avoir le choix entre scotchée sur le dos et scotchée sur le côté, c'est comme une cafet avec PLAT UNIQUE et deux sauces ...

    la physiologie réelle, c'est pas de produits dans les veines durant le travail - pas de péri, d'ocyto, de perf, c'est TOTALE liberté de mouvements et positions, y compris pour la naissance, c'est LAISSER BOIRE voire manger léger les femmes, c'est pas de tv à répétitions toutes les heures, c'est pas de pression pour un tempo précis de dilatation, c'est laisser le placenta sortir à son rythme sans signes d'appel, c'est pas cette foutue expression abdo si traumatique avant ou après accouchement, c'est pas de coup de ciseau inutile dans le sexe (CHU de besançon : 5% d'épisio pour les primipares, moins de 1% pour les multipares) ... tout ce que ne sont pas pas les 9/10ème des mats ...

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    1. Oui, je le sais bien, et si vous lisez d'autres billets, vous verrez que je ne restreins pas la physiologie uniquement à un accouchement sur le côté. Je ne donne dans ce billet qu'une explication au fait que j'ai pu modifier ma vision des choses.

      Oui, le respect de la physiologie c'est bien plus que cela. Mais lorsqu'on a été "formatée" à la médicalisation, passer de l'un à l'autre ne se fait pas un claquement de doigt et ici, je parle bien d'étincelle, d'un début de réflexion. Il y a un toujours un début à tout.

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