vendredi 18 avril 2014

Juste un petit verre d'eau

Il est 20h dans le service des suites de couche et je termine mes papiers en attendant ma relève qui n'aura lieu que dans 45 minutes. Tout est calme et c'est dans un quasi silence (à quelques pleurs d'enfants près ;-) ) que j'entends la porte de l'ascenseur s'ouvrir. 

Mon bureau se situe juste en face et je la vois tout de suite, tremblante, en larmes. Elle semble ne pas trop savoir où devoir aller. Je me porte vers elle et je n'ai que le temps de lui dire un "bonsoir ?" qu'elle me tombe dans les bras, en sanglotant. Je l'emmène tout doucement dans mon petit bureau cagibi, je l'assois sur ma petite chaise brinquebalante et entre deux sanglots, je lui propose un sourire et un verre d'eau. Elle accepte les deux. 

Lorsque je reviens vers elle avec le verre d'eau à la main, elle est en train d'essuyer ses larmes. 

"Que se passe-t-il, Madame ?
- Je saigne... Je crois que je suis en train de faire une fausse couche..."

Les larmes reviennent et je lui prends doucement la main, lui laissant le temps nécessaire pour revenir vers moi. 
Quand la crise est passée, nous parlons, je l'interroge le plus doucement possible et je finis par comprendre qu'elle n'a perdu que très peu de sang, sur une grossesse très récente, sur une première grossesse très désirée. J'essaie de la rassurer, de lui faire comprendre que cela ne veut pas dire que c'est fini et qu'une échographie pourrait la rassurer. Nous appelons ensemble l'interne de garde qui est disponible immédiatement. Elle part avec lui en me lançant un dernier petit sourire incertain. 


Je suis en pleine relève avec ma collègue de nuit lorsqu'elle frappe à la porte de notre bureau. Ce n'est plus la même femme : son visage porte cette lumière si particulière de la vie et elle me tend en tremblant l'image que lui donnée l'interne, celle d'un enfant en devenir en pleine forme !
Elle me serre dans ses bras et part très vite avec un "merci" qui semble venir du plus profond d'elle même. 

Cinq mois plus tard, je suis de nouveau d'après-midi en suites de couche et une auxiliaire de puériculture vient me voir : "Je crois qu'il y a une dame pour toi."

Ah ? Dans un hôpital, lorsqu'on est sage-femme de base, nous n'avons pas du tout de patientèle à nous. Alors je m'interroge. 

Malgré ses kilos en plus, je la reconnais tout de suite, notamment à son regard affolé qui me cherche et se calme lorsqu'elle me trouve enfin. Sans même que je dise le moindre mot, elle me serre dans ses bras et me souffle très vite "il y a un problème avec le bébé"

Comme la première fois, je l'installe dans mon bureau-cagibi, sur ma petite chaise et comme la première fois, je lui propose un sourire et un verre d'eau. 
Alors elle me raconte qu'on vient de diagnostiquer un kyste de l'ovaire à sa petite fille. Elle me rapporte les mots du médecin, très rassurants mais pas suffisamment pour elle. Elle semble avoir besoin que moi, je lui confirme tout cela. Alors, je reprends les échographies avec elle et ensemble, nous convenons qu'en effet, ce n'est pas anodin mais pas du tout grave. Je lui dis toute ma confiance pour le médecin qui la suit et qui va s'occuper de drainer ces kystes avant la naissance.
Enfin, elle accepte le diagnostic. Enfin, elle souffle en comprenant que ce n'est pas si grave que ça. Elle me quitte rassurée, en me promettant de venir me tenir au courant. Je n'ose lui dire qu'elle n'y est pas obligée, cela semble important pour elle. 

Je la verrai ainsi régulièrement, à chaque ponction, à chacune de ses consultations qui, par le plus grand hasard, ont toujours lieu des jours où je travaille. 
Elle me demande un jour si je serai là pour son accouchement et c'est avec beaucoup de délicatesse que lui explique qu'il m'est impossible de faire une telle promesse. Serai-je de garde en salle d'accouchement, en suites de couche le jour où elle se mettra en travail ? Serai-je tout simplement là ? 
Alors, je lui parle de mes collègues, toutes aussi professionnelles et attentives que moi. Je lui parle de mes collègues qui lui auraient toutes offert ce premier verre d'eau. Elle en convient en souriant.


Je la verrai pour la dernière fois en suites de couche, sa petite fille dans les bras, souriante, heureuse. Et c'est sur un dernier verre d'eau que nous nous quitterons, pour ne plus jamais nous revoir. 

Mais qu'importe, elle n'en avait plus besoin.

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