Encore une garde de nuit qui commence dans le calme dans ma Maternité Adorée. Aucune patiente, mes collègues et moi avons même pour une fois le temps de manger à un horaire quasi normal. Nous en sommes au dessert quand la sonnette nous rappelle à l'ordre. Comme je suis la seule à avoir déjà fini, j'y vais, le sourire aux lèvres.
Je la reconnais tout de suite et je reconnais tout de suite la suite la situation. Elle se tord devant la porte, tenant son tout petit ventre, soutenue par son mari dont le visage crispé laisse transparaitre toute la peur qui le hante. Je la prends délicatement par le bras pour l'emmener en salle de consultation : nul besoin d'un thermomètre pour savoir qu'elle est brûlante de fièvre, nul besoin d'un tocographe pour savoir que les contractions sont déjà à l’œuvre. Son enfant ne devait naitre que dans cinq mois...
Comme l'année précédente, je cherche les bruits de coeur, en vain.
Comme l'année précédente, je cherche une minuscule activité cardiaque à l'échographie, en vain.
C'est la quatrième fois qu'elle vit cette situation, la seconde en ma compagnie, et même si je sais qu'elle ne me reconnait pas, elle lit sur mon visage l'horrible vérité. Ce sont ses hurlements qui font venir mes collègues, ainsi que le médecin qui confirmera mon diagnostic.
Pourra-t-on lui laisser le temps d'accepter cette nouvelle ? Impossible, la fièvre a déclenché le travail, elle va accoucher dans les heures qui viennent, et nulle aide médicamenteuse ne lui sera proposée, toujours la faute à cette foutue fièvre.
Je l'installe en salle d'accouchement, le plus confortablement possible mais rien ne pourra apaiser la douleur qu'elle ressent dans son coeur, dans son corps. Son mari est sous le choc à ses côtés, et j'ai l'impression d'être désormais la seule personne vivante dans cette pièce.
Les contractions vont et viennent, elle reste prostrée, n'émettant que quelques gémissements au plus fort de la douleur. Je ne sais que faire pour l'aider, elle semble inaccessible à toute parole. Alors, je fais la seule chose qui me parait évidente : je lui prends la main, délicatement afin de ne pas lui imposer une présence. Elle la serre sans me regarder, et ne la lâchera plus.
Les heures s'écoulent, lentement, dans un silence de plomb que seuls ses gémissements viennent rythmer. Le travail avance et c'est aux heures les plus sombres de la nuit qu'elle mettra son enfant mort-né au monde. Alors, elle s'autorisera ce hurlement. Alors, son mari versera des larmes. Et moi avec lui.
Ils passeront une grosse heure avec leur enfant avant de me le confier, ses mots sont déchirants, mélange d'amour et de demande de pardon.
Alors que je les laisse dans leur chambre, je me rends compte que nos regards ne se sont jamais croisés. Elle était trop tournée vers sa peine pour laisser l'extérieur l'approcher.
Lorsque je reviens en garde la nuit suivante, elle n'est déjà plus là, ayant préféré retourner au plus vite chez elle. Même si je le comprends, cela me laisse un goût d'amertume : ai-je su l'aider ? Aurais-je pu l'aider ? Je ne le saurai jamais. Pas même lorsque je la retrouverai de nouveau un an plus tard, pour l'accompagner dans la naissance par césarienne d'un enfant alors vivant et à terme, son sourire et son bonheur en cet instant m'interdisant de la renvoyer vers un passé qu'elle venait enfin de dépasser.
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