dimanche 25 mai 2014

A celles qui ne fêtent pas les mères

Aujourd'hui, en France, nous fêtons les mamans.
Aujourd'hui, dans de nombreux foyers, des enfants vont réciter des poésies apprises à l'école et offrir des cadeaux faits par leurs petites mimines de tout leur cœur.
Aujourd'hui dans de nombreux salons, des adultes vont se retrouver avec leurs parents, bouquets de fleurs (ou non) à la main. 

Avec des envies d'amour, de réconciliation, des regrets ou des rancœurs, un sentiment d'obligation ou d'indifférence...

La fête des mères, cette fête qui peut à la fois faire fondre nos coeurs et les endurcir, nous porter vers l'allégresse comme vers la peine. 
Parce qu'il y a des fêtes qui ne peuvent que réveiller nos souffrances plus ou moins enfouies. 

Parce qu'il y a des fêtes que certaines femmes souhaiteraient ne jamais voir venir sur leur calendrier. Celles qui n'ont plus de mère, celles qui souhaiteraient ne plus avoir CETTE mère, celles qui rêvent tellement de devenir mère, celles qui sont malheureuses d'être mère...

Il y a celles qui ont perdu leurs repères, qui découvrent la maternité sans personne pour leur tenir la main, pour les rassurer.
Celles qui vont avancer dans le noir et finalement, créer leur propre lumière. Celles qui trouveront la force en elle... ou craqueront en appelant à l'aide d'autres personnes. 
Celles qui pleureront lorsqu'elles se rendront compte qu'elles n'ont personne pour raconter des anecdotes de leur propre enfance à leurs enfants.
Celles qui allumeront des bougies pour les grand-mères absentes... et tenteront de les faire connaitre à des enfants en demande.

Il y a celles qui souffrent en silence et celles qui osent taper du poing sur la table (ou sur leur smartphone) pour crier au monde leur tristesse. 
Celles qui sont résignées et celles qui ne veulent jamais perdre espoir, même quand la médecine a, elle, baissé les bras. Celles qui se demandent encore et toujours "pourquoi ?" et qui n'auront jamais de réponse satisfaisante.
Celles qui restent heureuses malgré tout d'apprendre des naissances ailleurs que dans leur maison et celles qui n'en peuvent plus. Celles qui préfèrent se protéger, celles qui ne veulent plus avoir à éviter. Celles qui se replient sur elles pour ensuite mieux s'ouvrir au monde.

Il y a celles qui ont été mères mais n'ont jamais réussi à s'y faire. Celles qui n'ont pas pu, ou voulu garder ces enfants. Et qui vivent, survivent - ou non - avec cette absence.
Celles qui ne l'ont été que trop brièvement et qui souffrent toujours dans leur corps, dans le cœur, de cette absence insupportable.
Celles qui ont dû prendre des décisions déchirantes en renonçant à donner la vie... en ne donnant que la mort. Celles qui n'ont pas eu le choix, le destin ou d'autres ayant choisi pour elles.

Chacune d'entre elles fait comme elle peut, comme elle veut et essaie de trouver son chemin.
Et nous, sages-femmes, nous les rencontrons toutes et toutes, nous ne pouvons que tenter de les accompagner sur leur propre chemin.

Alors, aujourd'hui, plutôt que de tourner mes pensées vers toutes ces mamans que j'ai rencontrées, je vais porter mon attention à toutes ces femmes qui souffrent de l'absence, de cette absence, de ces absences, si brulantes, si déchirantes, si impossibles à oublier. Comme cela l'est pour moi.

mercredi 14 mai 2014

Des femmes et des sages-femmes

Lorsque j'ai changé de maternité, passant de ma petite Maternité Adorée de niveau 2 (2000 accouchements par an) à ma Grosse Usine de niveau 3 (4500 accouchements par an), j'ai dû repartir de zero. 

En effet, il y a des métiers où l'on considère qu'un diplôme associé à un certain nombre d'années d'expérience sont suffisants pour justifier du "sérieux" d'un professionnel. En tant que sage-femme, je n'ai jamais ressenti cela. Autant quand j'étais élève, je pouvais comprendre et accepter de devoir faire mes preuves à chaque début de stage. Après tout, les écoles sont toutes différentes et les étudiants n'ont pas l'opportunité de pratiquer tous de la même manière. Mais cela a continué lorsque j'ai été diplômée, les collègues médecins ou sages-femmes restant méfiants sur cette "nouvelle sage-femme qui débarque". 

Le problème d'un tel comportement, outre le fait qu'il donne l'impression de toujours être "incapable d'être au niveau requis", c'est qu'il est aussi très castrateur. Si l'on est une sage-femme forte de ses convictions et de ses compétences et que l'on est en présence de collègues ouverts et accueillants, cela se passe sans souci. Pour peu que l'on soit un chouïa timide ou que les autres se sentent supérieurs à vous, cela devient vraiment difficile. 

Notamment lorsqu'on est soi-même une adepte du "respect de la physiologie" et que la maternité qui nous accueille est plutôt un temple de la pathologie et de la médicalisation. 

Je m'étais donc posé la question de "que faire ? Laisser parler mon instinct de sage-femme ou me couler dans le moule pour ensuite faire émerger ma vraie personnalité lorsque je me serai sentie plus assurée dans ce nouvel hôpital ?". Heureusement pour moi, la réponse est venue de la seule personne qui pouvait, qui devait me l'apporter : ma patiente. Ma première patiente lors de cette première garde dans ce tout nouvel environnement. Une primipare au travail fulgurant et qui était tellement "bien" sur le côté qu'elle m'a convaincue de la laisser ainsi. J'étais ravie, elle aussi même si un tantinet déboussolée par la puissance de ce qu'elle venait de vivre. Mais cela n'aurait-il pas été le cas dans n'importe quelle position ? 

Grâce à cette patiente, j'ai pu commencer à travailler dans ce nouveau poste en confiance, confiance en les femmes (mais cette confiance, je ne l'avais pas perdue) mais surtout confiance en moi, en mes capacités d'accompagnement, en mes possibilités de continuer à offrir aux femmes un accouchement le plus respecté possible malgré l'ambiance pro-médicalisation du lieu. Confiance également en mes capacités à m'imposer auprès de mes nouvelles collègues.
D'ailleurs, la collègue qui me "doublait" ce jour-là m'avait dit par la suite avoir été impressionnée par mon courage à entamer ainsi ma "carrière" chez eux. 

Cela m'avait rendu forte, prête à tout recommencer sur de bonnes bases. (Heureusement d'ailleurs car il m'a fallu dès le premier mois m'imposer également auprès d'une cadre tyrannique, aurais-je eu le courage de le faire si cette femme ne m'avait pas donné cette force ?)

Si les sages-femmes sont les fées penchées sur les berceaux des enfants, les femmes sont notre moteur, celui qui nous pousse à toujours nous dépasser, nous révéler.

Vous allez me dire : "Mais pourquoi évoquer ceci maintenant ?"

Pour cette raison : dans son billet, Laura Bodey évoque les difficultés qu'ont certaines sages-femmes à s'autoriser à proposer des positions autres que l'accouchement en position gynécologique à leurs patientes. J'avais moi-même évoqué cela il y a peu dans un billet.

Ces deux billets, associés à ce souvenir qu'ils ont réveillé en moi, m'ont fait prendre conscience d'une chose. 
En vérité, sans une femme, une sage-femme n'est rien. Nous sommes là pour être à leurs côtés, pour les soutenir, pour nous assurer qu'elles vivent un des actes fondateurs de leur vie dans la sécurité médicale et émotionnelle. Nous sommes là pour accueillir leurs enfants et nous assurer qu'ils vivent ce passage vers la vie dans les meilleures conditions possibles. 
Mais sans les femmes, nous ne serions que des techniciennes, de parfaits automates capables de lire des courbes, de calculer la dilatation d'un col, de pratiquer la réanimation d'un nouveau-né. 

C'est parce qu'une femme est capable de nous dire, de nous faire comprendre que dans telle ou telle position elle se sent mieux que nous allons pouvoir lui faire des propositions pour soulager sa douleur. 
C'est parce qu'une femme est capable de comprendre, de ressentir ce qui est bon pour son bébé à ce moment précis que nous pourrons l'accompagner dans un choix d'alimentation au sein ou au biberon. 
C'est parce qu'une femme est capable de nous dire quelles sont ses peurs (ou en tout cas, qu'elle en a) que nous pourrons essayer de la guider, de l'accompagner sur le chemin de l'apaisement. 
C'est parce qu'une femme est capable de reconnaitre que c'est difficile que nous pourrons être là pour la soutenir et l'aider à avancer. 
C'est parce qu'une femme est capable de nous dire ce qu'elle souhaite dans sa vie de femme, de d'épouse, d'amante, de mère, que nous pourrons l'accompagner tout au long de son suivi gynécologique.

Alors, mesdames, dites-le nous !!! 
Et que toutes ces sages-femmes qui sont marquées par l'ignorance, l'habitude, la peur, toutes ces sages-femmes qui n'osent créer de nouveaux sentiers à battre, toutes ces sages-femmes qui se sentent écrasées par le regard castrateur de leurs pairs sachent qu'elles peuvent le faire, qu'elles doivent le faire, pour vous, mais aussi pour elles !