Ils avaient pris leur décision, contacté la seule sage-femme du département le pratiquant et n'attendait qu'une chose : que cet enfant donne le signal du départ pour cette belle expérience d'un accouchement à domicile. Mais cela ne se passa pas comme prévu.
La poche des eaux se rompit un matin, annonciatrice du bel évènement qui se préparait. Du moins, le croyaient-ils. Lorsque 24 heures plus tard, l'eau s'écoulait toujours mais sans la moindre contraction utérine pour ouvrir la porte à cet enfant, la sage-femme et eux-même durent se résigner à l'inévitable : aller à la maternité pour déclencher l'accouchement.
Ils sont arrivés furieux, furieux contre le sort, contre la maternité qui semblait devenir le symbole de l'échec de leur rêve, en opposition avec tous et toutes et créant dès leur arrivée une opposition symétrique à leur encontre de la part de l'équipe.
La faute à qui ?
A l'équipe pas encore ouverte au retour de la physiologie dans les salles d'accouchement ?
A leur sage-femme qui n'a pas su les préparer à cette éventualité et leur a présenté l'hôpital comme un lieu où ils deviendraient les victimes de bourreaux ?
A eux qui n'ont pas su comprendre que la maîtrise n'a que très peu de place dans un accouchement ?
Qu'importe ! Le résultat était là et tous nous allions devoir faire avec.
Lorsque j'arrive en salle d'accouchement pour la relève ce matin-là, l'ambiance est électrique. Les sages-femmes ne veulent pas s'occuper d'eux, vexées d'être vues uniquement comme des tortionnaires en puissance. Les médecins râlent devant l'inconséquence de cette sage-femme libérale qui ne sait que prendre des risques en osant proposer des accouchements à domicile.
Il va bien falloir que quelqu'un se dévoue pour s'occuper d'eux, la poche des eaux est rompue depuis 48 heures désormais et il ne passe toujours rien. J'aime les défis, j'aime la physiologie, je me propose, au grand soulagement de mes collègues.
Les futurs parents sont fermés, prisonniers de leur déception et de leur rancœur. Alors, je mets d'emblée les cartes sur la table : "non, ils ne pourront désormais éviter la médicalisation de leur accouchement, oui, je comprends leur déception et leur frustration mais ils doivent désormais faire leur deuil d'un accouchement à domicile pour cette naissance, non, je ne pourrai pas faire comme s'ils étaient chez eux mais on peut tenter de s'en approcher le plus possible". Cette franchise semble les débloquer.
Je branche la perfusion qui va provoquer les contractions, nous obturons les fenêtres, ils installent un lecteur pour écouter de la musique. Ils ne peuvent échapper aux fils du monitoring et à celui de la perfusion mais nous jonglons avec pour lui permettre de prendre les positions qui la soulagent.
Au bout de quelques heures, la douleur est trop forte : le corps ne réagit pas pareil aux hormones de synthèses qu'à ses propres hormones. La douleur est plus difficile à gérer ainsi. Elle décide d'avoir recours à une analgésie péridurale. Nous continuons pour autant à alterner les positions et elle finit par mettre au monde son enfant en position "sur le côté". Un véritable sourire apparait alors sur son visage, premier vrai sourire spontané de cette journée.
Lorsque je les accompagne dans leur chambre, le mari me remercie chaleureusement, elle semble encore sous le choc, de la naissance, de la frustration. Elle semble avoir du mal à faire la part des choses.
J'y repasserai encore deux fois avant leur départ de la maternité. Ce n'est que lors de ma dernière visite qu'elle m'a paru enfin libérée. Ce jour-là, elle m'a remis un paquet de chocolats et une carte.
Sur la carte, ces quelques mots : "merci pour tout, je n'ai pas eu l'accouchement dont je rêvais, mais j'ai eu la sage-femme dont je rêvais."
Quelques mois plus tard, je les ai croisés dans la rue : heureux, apaisés, leur petite fille épanouie dans leurs bras. La déception avait été oubliée.
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