jeudi 14 août 2014

Du recueil du consentement éclairé

Il y a peu, je me suis rappelée d'une phrase que j'ai employée régulièrement durant ma carrière professionnelle, que ce soit étudiante ou plus tard en tant que sage-femme diplômée.

"Si c'est une décision médicale, vous n'aurez pas votre mot à dire."

Je me revois très bien dire cela en cours de préparation à la naissance, notamment lorsqu'on évoquait la césarienne ou l'épisiotomie. Je me rappelle très bien du contexte : les femmes assises sur leur tapis, moi sur la chaise ou plus souvent sur un tapis face à elle, leur expliquant que c'était des gestes que l'on ne pratiquait qu'en cas d'extrême nécessité. 
Pour l'épisiotomie, je leur expliquais la politique de la maison, à savoir qu'elle n'était pratiquée que si cela nous paraissait obligatoire : "si nous nous posons la question de savoir s'il en faut une, nous ne coupons pas. Nous ne le faisons que si nous ne posons même pas la question." Et d'expliquer ensuite qu'il s'agissait généralement de cas de nécessité d'extraction rapide de l'enfant ou de périnée tellement tonique que rien ne pourrait l'assouplir. Et je terminais par cette phrase : "Si c'est une décision médicale, vous n'aurez pas votre mot à dire."
Pour la césarienne, j'essayais de les préparer à la situation d'urgence, celle qui fait que parfois - souvent - on n'a pas/ne prend pas le temps d'expliquer à la femme ce qui se passe.  Je leur disais bien que dans la plupart des cas, une césarienne ne se décidait pas dans la minute et que l'on pouvait comprendre au cours du travail si une césarienne serait nécessaire ou pas. Mais je ne leur cachais pas que parfois, en cas d'urgence vitale, la césarienne pouvait arriver sans qu'aucun signe ne l'ait laissé présager. J'insistais bien sur le fait qu'après, elles ne devaient pas hésiter à en parler avec le personnel médical, afin qu'elles comprennent réellement ce qui c'était passé et pourquoi une telle décision avait été prise. Et évidemment, je terminais par un : "Si c'est une décision médicale, vous n'aurez pas votre mot à dire."

A l'époque, je me pensais une sage-femme bienveillante, bientraitante, totalement respectueuse de mes patientes. 

Aujourd'hui, je me rends compte que j'avais complètement occulté une notion : celle du consentement éclairé. A aucun moment, je ne disais aux femmes qu'elles pouvaient refuser ces actes. Oui, même une césarienne.  

Deux articles de loi mettent pourtant cette notion de consentement en lumière.

Art R 4127-36 du Code de santé publique : « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité ». 

«LOI n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé Art. L. 1111-4. - Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé.
« Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables.
« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
« Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.
« Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou par le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables.
« L'examen d'une personne malade dans le cadre d'un enseignement clinique requiert son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades énoncés au présent titre.
« Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des dispositions particulières relatives au consentement de la personne pour certaines catégories de soins ou d'interventions.

  
Et Dieu sait que j'ai bouffé du droit en dernière année d'école de sages-femmes. Alors, pourquoi cela ne paraissait-il pas anormal de ne pas l'évoquer, de ne même carrément pas y penser ? Pourquoi cela me paraissait-il tellement normal que, sous prétexte qu'un médecin ou une sage-femme avait posé une indication médicale, la patiente n'avait pas son mot à dire ?

Quand j'y repense, je suis atterrée.  Mais je sais qu'aujourd'hui, jamais je ne tiendrai un tel discours. Cela me console. Un peu. 

Mais cela me consolerait beaucoup si je savais ne pas être la seule à avoir pensé comme ça, à continuer à penser comme cela. 

Lorsque la polémique sur le "point du mari" était au plus fort, de nombreux débats, fort intéressants au demeurant, ont eu lieu entre sages-femmes, grâce aux réseaux sociaux. Et cela a mis en lumière nos différences d'opinion sur ce sujet du consentement. Tous et toutes, nous sommes tombés d'accord sur le fait que cette notion était primordiale et qu'elle devait toujours être respectée. Mais, oui, mais, nombre d'entre nous ont toutefois affirmé qu'il y avait des moments où ce recueil était impossible : notamment dans le cas de l'épisiotomie. "Mais comment voudriez-vous que nous prenions cinq minutes pour expliquer les avantages et les inconvénients de ce geste lorsqu'il faut sortir l'enfant ?" Oui, certes. N'empêche. 
Je ne vais pas rentrer dans la discussion sur "pour ou contre l'épisiotomie" car ce n'est pas le cœur de ce billet mais bien insister sur ce que cela laisse entrevoir : le recueil du consentement, même s'il parait une évidence, n'est finalement pas si facile que ça à accepter pour certains d'entre nous. Alors que tous et toutes nous savons qu'il est un préalable obligatoire à tout geste médical. 

Il semblerait qu'il y ait dans l'esprit des soignants une hiérarchisation des soins qui permettent de remettre en cause ce consentement. 
Demander un consentement pour rompre une poche des eaux est très facilement envisageable. Pour autant, qu'une femme refuse la pose d'une voie veineuse est déjà plus problématique. Idem pour l’administration de syntocinon. Et nous ne touchons pas encore aux actes vitaux comme une césarienne ou une épisiotomie pour détresse fœtale. Dans ces cas-là, cela parait tout bonnement inenvisageable. C'est pourtant en totale contradiction avec les textes de loi : "Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables.
« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment."
Les textes sont clairs, on parle de tout faire pour convaincre la personne mais pour autant, son consentement reste primordial.

Alors pourquoi ?

Parce qu'aucun d'entre nous ne peut s'imaginer dans la situation de voir mourir une femme ou un enfant sans rien faire pour l'empêcher ? Parce qu'aucun d'entre nous ne peut imaginer que le consentement d'une femme soit prioritaire à la survie de son enfant à naitre ? Parce que nous sommes tiraillés entre deux être humains à sauver ?
Parce qu'aucun d'entre nous ne peut imaginer que ce qui nous parait juste ne le soit pas réellement ? 
Parce qu'aucun d'entre nous ne peut imaginer que notre décision soit remise en doute par quelqu'un d'autre, à fortiori quelqu'un qui n'ait aucune notion médicale ? 
Parce qu'aucun d'entre nous ne peut imaginer que...

De nombreuses raisons peuvent être invoquées, qui ont probablement toutes une part dans notre inconscient personnel et/ou collectif. Que ce soit au niveau de l'impuissance à laquelle cela nous oblige, de l'image toute-puissante que cela écorne, des raisons même pour lesquelles nous avons entrepris des études de médecine. Cette notion du respect du consentement me semble dépasser le simple cadre de la loi et toucher plus à notre identité profonde qu'autre chose. 

Le problème évidemment est que ce qui, finalement, devait être traité par une réflexion personnelle, va empiéter sur les droits de quelqu'un d'autre, avec toutes les conséquences que cela peut avoir, que ce soit d'un point de vue juridique, médical, éthique, psychologique... Il suffit de penser à toutes ces femmes qui font des dépressions du post-partum alors que leur accouchement a été plus que normal du point de vue du personnel médical. Il y a pourtant bien une raison. 

Il est temps que les professionnels de santé se penchent réellement sur cette notion du consentement, sur ce que cela évoque en eux, afin de se mettre en adéquation avec la loi et les volontés de leurs patients. 


Quelques articles pour continuer la réflexion : 

8 commentaires:

  1. Bonjour !
    J'ajouterais que même des gestes systématiques ne sont pas toujours expliqués en amont. Je ne me suis pas posée la question d'accepter ou de refuser le syntocinon, j'ignorais totalement qu'il m'était administré.
    J'ai demandé à ce qu'on me retire la voie veineuse (parce qu'elle me faisait mal - raison toute bête mais dans la mesure où on ne m'avait pas expliqué à quoi elle servait exactement si ce n'est pour administrer d'autres trucs par la suite SI BESOIN (supposition de ma part) je préférais autant qu'on me repique l'autre bras SI BESOIN donc) et on m'a... rajouté un scotch (ça a pas vraiment diminué la douleur et j'ai eu un bel hématome par la suite).

    Je n'ai pas du tout mal vécu mon accouchement, et ces choses sont des petites choses. Surtout que la mater était tellement envahie ce jour-là que c'est limite si certaines ont pu accoucher dans une salle, et le personnel courait.
    Mais c'est quand même... gênant, sur le principe, de savoir a posteriori qu'on vous a injecté des trucs à l'insu de votre plein gré (accord impossible à donner donc), et de s'entendre répondre un petit rire amusé (même pas une explication) à une demande comme ça.

    Pour la peine, AAD pour le 2e !

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    1. Bonjour,

      A vrai dire, c'est surtout qu'aucun geste ne devrait être systématique et que tous devraient nécessiter un consentement éclairé. Mais autant les patients (votre commentaire nous le fait bien ressentir) que les soignants, nous avons trop pris l'habitude de faire sans.
      Les soignants doivent donc le réintroduire dans leur pratique mais les patients doivent également apprendre à demander sa mise en pratique.
      Je pense vraiment que le travail doit se faire sur les deux fronts.

      Je vous souhaite un bel accouchement chez vous.

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  2. Je suis plutôt d'accord sur le fait que dans l'urgence, ce n'est pas le moment d'expliquer en détail. Par contre ça peut être fait en amont (préparation à la naissance, projet de naissance etc). Je pense que l'immense majorité des femmes ne s'opposeront pas à un acte si elles ont été informées avant (pas quand il faut prendre la décision). Et si elles refusent, c'est leur corps après tout...

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    1. Tout à fait. C'est ce qui était généralement ressorti des débats entre sages-femmes.
      Le problème, c'est que, le plus souvent, la personne qui assure le suivi prénatal ou les cours de préparation à la naissance n'est pas celle qui sera présente à la naissance, d'où de nombreux non-respect des projets de naissance.

      L'idéal serait que, dans les dossiers médicaux, de la même manière que l'ont trouve des cases à cocher pour les différentes sérologies, il y ait des cases pour le consentement des différents actes médicaux. Ainsi, tout serait clair pour tout le monde. Sachant que, conformément à la loi, un consentement peut être retiré ou donné à tout moment. Cela n'empêcherait en rien le dialogue qui devrait être la base de tout soin médical au cours de l'accouchement mais donnerait déjà une base sur laquelle se fonder, et permettrait au soignant de savoir que les différents effets indésirables ont été évoqués et sont connus de la patiente.

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  3. Je trouve qu'il y une vraie danger dans la formulation : "Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit TOUT mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables."

    Parce que "TOUT mettre en oeuvre pour convaincre la personne", ça peut être : mentir, éluder certaines questions, ne pas donner certaines informations, ...

    Donc cette formulation est bien trop vague pour pouvoir être utilisable concrètement et est une porte ouverte aux abus de toutes sortes.

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    1. En effet, vous avez raison. Cela mériterait d'être éclairci. Toutefois, le Code de Déontologie des médecins énonce ceci : "Le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine." (Article R4127-3 du Code de la Santé Publique (Code de déontologie des médecins) :)
      On peut imaginer que le législateur considérait la notion d'honnêteté comme un pré-requis évident...

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  4. Bonjour, je suis actuellement étudiante sage-femme. Je dois réaliser un devoir de droit sur le refus de traitement pour la femme enceinte, puis-je utiliser votre écrit pour avoir des exemples concrets pour mon devoir ?
    Cordialement

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