La semaine dernière, j'ai pu assister
à une séance en version longue du film « Entre leurs mains »,
ce film magnifique sur l'accouchement à domicile et plus
généralement l'accouchement physiologique. Ce fut une expérience
très enrichissante pour moi, d'abord eu égard à la qualité du
film évidemment mais également de par les personnes qui
m'entouraient. En effet, je me suis retrouvée le temps d'une soirée
entourée quasi uniquement de femmes qui avaient accouché à
domicile (ou étaient sur le point de le faire). Moi qui ai plus
l'habitude de fréquenter les femmes en milieu hospitalier, j'avais
l'impression d'être E.T. tout d'un coup.
Après cette soirée, me retrouver
plongée de nouveau dans la « normalité » de
l'hypermédicalisation vue et revue sur les réseaux sociaux a été
comme une gifle pour moi. Comment les femmes peuvent-elles se scinder
en deux groupes si distincts et opposés ???
Peut-être parce que certaines se sont
laissées portées par le poids des « transmissions », de
ce qui est nous est raconté par nos mères, notre culture et nos
réseaux sociaux, quand d'autres ont appris à s'en libérer ?
En effet, s'il y a une chose qui nous
« poursuit » depuis la nuit des temps, c'est bien une
vision doloriste et dangereuse de l'accouchement.
Notre berceau judéo-chrétien nous a
appris que toute naissance était une souffrance (le fameux "tu
enfanteras dans la douleur" de la Genèse) ; les femmes ont
également longtemps vécu l'enfantement comme leur guerre
personnelle (celle à laquelle on est fière d'avoir survécu) ;
d'autres le vivaient comme le prix à payer pour avoir un enfant en
bonne santé... Beaucoup de notions qui ont concouru à faire
perdurer cette image doloriste de l'accouchement. L'anesthésie est
ensuite arrivée et, si elle a permis de supprimer la douleur, elle
n'a pour autant pas fait disparaître la crainte de la douleur. Au
contraire, l'anesthésie en se rendant indispensable pour ne pas
succomber à la douleur n'a fait que renforcer cette image d'une
douleur insurmontable. La « transmission » était donc
celle d'un phénomène horriblement douloureux.
Et qui peut tuer. Les récits de femmes
mortes en couche sont légion et dans l'esprit des femmes, la peur de
mourir en donnant la vie est profondément ancrée.
S'est ajouté à cela une vision différente de
l'enfant. Longtemps, lorsque la planification des naissances
n'existait pas, l'enfant était vu comme une force de travail, un
soutien pour la vieillesse. Il mourait facilement en couche ou dans
les premières années mais pouvait « aisément » être
remplacé par les enfants suivants. Avec la contraception est arrivée
la notion d'enfant désiré, enfant voulu et aimé avant même sa
naissance. Sa mort au cours de l'accouchement devenait donc
inconcevable, inenvisageable, angoisse devenue insupportable.
Beaucoup de femmes d'aujourd'hui portent donc en
elles cette double vision de l'accouchement : un événement
douloureusement insurmontable et pouvant à tout moment entraîner la
mort de leur enfant ou d'elle-même. Voici la transmission de la
naissance aujourd'hui, profondément ancrée dans le cœur des
femmes, celle que nous rencontrons si souvent, celle qui nous est
racontée par nos grands-mères et mères, celle qui est reprise dans
les différentes émissions de télé-réalité ou de fictions, dans
les billets humoristiques des blogueurs, dans les sketch des
humoristes. C'est également celle qui est transmise par le milieu
médical d'aujourd'hui.
Et c'est parce que les femmes aujourd'hui n'ont que
ces images en tête, que parce que le milieu médical vient enrichir
leurs angoisses en hypermédicalisant, en n'insistant que sur les
risques et non les bénéfices, que désormais, la « normalité »
semble du côté de la médicalisation.
Mais alors, comment expliquer cette scission dans la
population des parturientes ? Comment expliquer cette angoisse
sous-jacente dans un groupe quand au contraire, d'autres femmes
vivent cette étape de la naissance dans la sérénité, sans crainte
et sans penser nécessiter cette médicalisation de la naissance ?
Peut-être parce qu'elles n'ont pas oublié une
chose : il y a au milieu de tout ça une variable, ou plutôt
devrais-je dire une invariable, c'est l'accouchement en lui-même. Sa
mécanique n'a pas changé au cours des millénaires. Il s'agit
toujours de l'expulsion d'un enfant du corps de sa mère, expulsion
mise en œuvre par différents jeux d'hormones et de contractions
musculaires, expulsion qui nécessite une part active de la mère qui
se mobilise pour ouvrir un chemin à son enfant, ainsi qu'une part
passive de l'enfant qui va se laisser guider par ces différents
mouvements pour accomplir son voyage dans le bassin maternel.
Elles ont également dépassé cette notion de peur,
de douleur, pour en faire une alliée, non plus une punition mais un
signal de l'avancée du miracle qui est en train de se dérouler dans
leur corps.
Elles ont appris que si la mort veillait, elle
n'était pas la seule et que les sages-femmes étaient là pour lui
barrer la route.
Alors, finalement, où est la normalité ?
Plutôt dans la douleur et la mort ou dans la force et la vie ?
Et comment permettre à ces deux groupes de se rencontrer ?
Peut-être déjà en modifiant ce qu'elles se
transmettent ? En commençant par voir un film comme « Entre
leurs mains » ? En quittant le cercle des informations
toujours alarmantes pour se plonger dans d'autres plus sereines ?
En reprenant confiance en elles, c'est sûr.
Les femmes ont un rôle à jouer pour y parvenir. La
société également en acceptant de remettre en cause la vision
qu'elle véhicule de l'accouchement. Le monde médical encore plus en
pesant « réellement » les bénéfices-risques de leur
pratique.
Pour aller plus loin :
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