jeudi 18 septembre 2014

Dans leur bulle...

On m'a appris beaucoup de choses en école de sages-femmes, sur la femme, sur l'enfant, sur la mécanique de l'accouchement, sur le droit et la psychologie... Beaucoup de "théorie" notée sur des feuilles dans une salle de cours. Mais on ne m'a pas appris à accompagner les femmes en travail. 

Ça, nous "l'apprenions" au cours de nos différents stages, en nous nourrissant de la manière de travailler des sages-femmes diplômées qui nous encadraient. Si certains accompagnements nous paraissaient plus délicats, tels les accompagnements de grossesses interrompues ou devant l'être, ceux des femmes "classiques" finissaient par se classer selon deux catégories : 
- les femmes sous péri, qu'il fallait "divertir" : les rassurer évidemment, mais la douleur ayant été abolie, il s'agissait surtout de les aider à "passer le temps". Parler de tout et de rien, du beau temps, du dernier film vu au ciné, de la couleur choisie pour la peinture de la chambre... Mon petit plus à moi : j'aimais les faire rire. Alors, je faisais le boute-en-train. Et les femmes étaient très contentes. Je ne compte pas le nombre de faire-part de naissance et de boites de chocolats reçus pendant mes études et le début de ma carrière.
- les femmes sans péri, qu'il fallait "soutenir" dans leur douleur : leur tenir la main, leur chuchoter des encouragements, les ramener vers nous lorsqu'elles s'échappaient de notre réalité... Là aussi, je mettais en avant mon côté clown pour transformer la peine en rire, les larmes de douleur en larmes de joie. J'ai également assisté à bon nombre de naissances mouvementées où "le boulot de la sage-femme, c'est de cadrer la femme pour pas qu'elle parte en live". 

Je suis ainsi devenue sage-femme, nourrie de cette simple dichotomie et prenant en charge les femmes avec toute ma meilleure volonté, mon envie de vraiment les aider... mais en passant complètement à côté de la "vérité" de l'accouchement. 

Je n'ai découvert que plusieurs années plus tard le rôle des hormones dans l'accouchement, et notamment l'opposition entre l'ocytocine et l'adrénaline.
En effet, l'ocytocine, cette hormone qui donne à la fois des contractions utérines, permet l’éjection du lait et la création du lien mère-enfant est inhibée par la sécrétion d'adrénaline, cette hormone qui intervient dès que la femme utilise son cortex.
Or, que faisais-je d'autre que de stimuler leur cortex en "papotant" ainsi avec elle, en les faisant rire,  en les "recadrant" ?
Je passais donc complètement à côté de ce que j'aurais réellement dû faire pour elles.

Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle, leur monde, concentrée sur sur ce qui se passe en elle et qui tient plus de l'instinct et de l'animalité que de la réflexion.
Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle pour permettre cette sécrétion d'ocytocine qui va leur permettre d'accoucher physiologiquement grâce à une activité utérine efficace.
Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle pour bénéficier d'un effet secondaire de la sécrétion d'ocytocine : la sécrétion également d'endorphines, ces hormones qui permettent de supporter la douleur.
Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle pour permettre au corps de faire ce pour quoi il est fait et qu'il sait si bien faire : donner la vie.
Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle pour ne pas se laisser envahir par la peur, par les "on-dit".
Les femmes ont besoin d'être dans leur bulle.

Alors, que devons-nous faire pour permettre aux femmes de demeurer dans cette bulle ?
Il ne s'agit pas évidemment de les laisser seules, de ne pas leur parler. Non, il s'agit de le faire "à bon escient". Trouver les mots (ou l'absence de mots). Être une présence attentive et bienveillante, qui saura leur donner l'assurance qu'elles peuvent y arriver, qu'elles ont en elles la capacité d'y arriver. Être là pour garder la peur et les complications à distance... Et mettre le cortex hors-service pour éviter qu'il ne vienne éclater la bulle.

Parce que quand la bulle éclate, il n'est pas toujours facile de la reconstruire. Le doute s'installe. La peur s'insinue. La machinerie si bien pensée du corps féminin s'enraye. Et il n'y a parfois pas d'autre solution que la médicalisation pour prendre le relais, avec toutes les conséquences que cela entraine.

Alors, mes consœurs et confrères sages-femmes, mes collègues infirmiers et aide-soignants, puéricultrices et auxiliaires, mesdames et messieurs les obstétriciens, anesthésistes et pédiatres, pensez-y. (Et ce, quand bien même cette femme en travail est également une sage-femme désœuvrée  ;-)  )


P. S. : Et plus encore que cette bienveillance, cette présence que j'appelle de mes vœux, il y a aujourd'hui des moyens pour offrir aux femmes ce respect de leur bulle : en développant l'accompagnement global et l'accès au plateau technique pour les sages-femmes, en ouvrant des maisons de naissance, en respectant le choix d'accoucher à domicile...
Limiter les intervenants pour limiter les interférences possibles : une femme/une sage-femme comme nous le demandons depuis des mois et des mois.
Accoucher dans un lieu choisi par la femme, un lieu qu'elle pourrait investir et où elle se sentirait libre de créer sa bulle, pour mettre son enfant au monde, qu'il s'agisse d'une structure hospitalière, son salon, une salle nature ou une maison de naissance.
Humaniser les salles d'accouchement des maternités en cachant tout ce qui peut faire peur... et stimuler ce foutu cortex. Diminuer les bruits parasites, que ce soient ceux des appareils de surveillance ou de la ventilation... qui vont stimuler ce foutu cortex. Ne pas laisser entrer la lumière mais préserver un cocon d'obscurité, d'intimité... pour ne pas stimuler ce foutu cortex.

Il ne s'agit parfois que d'un peu de bonne volonté... et d'une prise de conscience de ce qui se joue réellement.


5 commentaires:

  1. Tu as bien résumé l'enjeu.
    C'est terrible que les sages-femmes doivent chacune faire leur chemin pour atteindre cette prise de conscience par elles-mêmes, et que ce ne soit pas dit lors de votre formation.
    Cela dit, vu la réalité de la vie hospitalière, elles seraient peut-être encore plus frustrées en voyant les "dégâts" et l'impossibilité de prendre ce temps pour leurs patientes...

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    1. Les "jeunes" générations de sages-femmes et d'étudiant(e)s sages-femmes y sont déjà plus sensibilisées, probablement par effet boule de neige d'avoir été encadré(e)s par des SF qui ont fait ce cheminement... et par l'effet positif des blogs, tel celui de 10lunes, qui font réfléchir. Et en effet, elles ne vivent pas forcément bien qd leurs lieux de stage st trop "médicalisants"... (voir le blog http://progesteroneetocytocine.blogspot.fr/)

      Cela dit, je reste optimiste car, de plus en plus de SF souhaitent offrir "autre chose" aux femmes.

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    2. Ton analyse est rassurante. Le principal problème reste l'argent, au final (je repense au reportage de D8...), qui s'oppose souvent à l'humain.
      C'est vrai qu'il y a beaucoup de blogs salutaires sur la profession mais proportionnellement aux nombres de professionnels, je ne sais pas quelle est leur portée, combien les connaissent. Je me suis déjà fait cette réflexion pour les articles sur la communication non violente avec les enfants (qui atteint-on, à part les gens déjà sensibilisés et connectés qui font donc des recherches et parviennent sur le blog ?).
      Bref, merci quand même pour ton optimisme :-)

      (ps : tu avais répondu présent pour un groupe de parents des Vendredis Intellos sur Twitter, peux-tu me donner ton mail pour que je te mette dans la boucle ?)

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  2. Bien vu. Si je me souviens bien d'un article lu l'année dernière à ce sujet, Michel Odent recommande même que la sage-femme, présence attentive et bienveillante comme tu le dis, tricote pendant le travail car il serait prouvé qu'une activité répétitive comme le tricot s'oppose à une montée d'adrénaline, (qui serait d'ailleurs "contagieuse" et donc à éviter chez toute personne présente aux côtés de la parturiente).

    Je me demande quand même si ça ferait bon effet d'arriver en stage en salle d'accouchement avec mes aiguilles à tricoter!

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    1. C'est justement Michel Odent, et son livre "L'Amour Scientifié", qui a été mon électrochoc et m'a permis de comprendre l'influence des hormones !

      Quant au tricot, c'est à se demander si certaines "vieilles" sf ne l'avaient pas pressenti, à venir en garde avec leur tricot comme j'en ai vu bcp le faire (dommage par contre que cela se soit cantonné à la salle de garde ;-) ).

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