lundi 31 mars 2014

Et lorsque ça marche comme on le souhaitait

Un dimanche de garde dans ma petite Maternité Adorée. Une garde calme, très calme, à vrai dire, il n'y a aucune femme en travail. Et puis vient la sonnette tant attendue. 

C'est leur premier enfant, ils sont sereins, elle est en début de travail et gère très bien. Il est très présent auprès d'elle, tout en force et en douceur. 
Ils veulent d'un accouchement physiologique, sans péridurale et si possible, elle aimerait accoucher accroupie. Elle s'est renseignée, elle sait que c'est la meilleure position pour faciliter la naissance du bébé et se sent prête. Je ne peux qu'aller dans leur sens, tout va bien, l'enfant se porte bien, il est inutile de médicaliser. Toutefois, je me permets un bémol : la position accroupie est très physique à tenir, surtout pour un premier accouchement où la poussée peut être plus longue que prévue et si les indiennes ont l'habitude de tenir cette position, ce n'est plus tellement le cas des occidentales (référence au Docteur Papiernik qui accouche les indiennes du Brésil en position accroupie). Elle me dit que cela ne l'inquiète pas, "j'ai fait tout le Chemin de Saint Jacques de Compostelle, je connais la notion de l'effort"
Nous partons donc avec cet objectif, tous portés par notre enthousiasme, et moi plus encore car si j'ai étudié la mécanique de l'accouchement accroupi, je n'en ai encore jamais vu et encore moins pratiqué.

Nous descendons les stores des fenêtres, diminuons le bruit du monitoring à un niveau sonore qui lui convienne. J'obture son cathéter veineux pour qu'elle soit gênée le moins possible par des fils inutiles. Elle est dans sa bulle, toute concentrée sur l'acte qui se joue au plus profond de son corps, au plus profond de son cœur.

Son cheminement vers la maternité se fait lentement mais sûrement et c'est juste avant la fin de la garde que nous partons nous installer en salle d'accouchement. Mes collègues de nuit arrivent juste à ce moment, et nous sommes alors quatre sages-femmes à la fois curieuses et intimidées par cet accouchement qui nous sort de notre quotidien. C'est avec l'accord du papa que mes collègues se placent dans des recoins discrets de la salle d'accouchement (la maman est tellement déconnectée de nous que je ne sais même plus si elle fait attention à ma propre présence). Je m'installe sur un petit tabouret à ses pieds et nous attendons. 
Nous attendons que la contraction vienne et qu'elle ressente cette impérieuse envie de pousser. Alors, elle se soulève, tire de toutes ses forces sur ses bras, le papa assis sur la table derrière elle et petit à petit, contraction après contraction, elle met son enfant au monde, sous nos yeux émerveillés.
Je l'accompagne de la voix et du regard, en lui chuchotant des "c'est bien, continuez, vous êtes formidable" qu'elle n'entend peut-être même pas, qu'elle n'a peut-être même pas besoin que je lui dise. Nous récupérons ensemble son enfant et elle s'appuie contre le papa, leur enfant au creux de ses bras, un sourire merveilleux sur les lèvres. La délivrance se fera ensuite très rapidement.

Les quatre sages-femmes, nous restons là, encore un peu sonnées par la force de ce que à quoi nous venons d'assister, par cette chance que ces parents nous ont donnée. Et puis, lentement, en silence, mes collègues s'effacent et je rallonge la dame pour qu'elle soit plus à l'aise pour donner le sein à son enfant.

Aujourd'hui, ce petit garçon va sur ces 8 ans et je me demande souvent si la force, la persévérance et la confiance dont ses parents ont fait preuve pour le mettre au monde a laissé des traces sur l'être qu'il est devenu. En tout cas, elles en ont laissé sur les quatre femmes qui ont veillé à leurs côtés.

mercredi 26 mars 2014

Et la recherche dans tout ça ?

Le buzz actuel sur le "point du mari", qui est lié plus globalement à la fois à la notion de respect du consentement et à la fois à la notion de respect de la physiologie peut également entrainer une autre réflexion, et qui prend écho dans les revendications soutenues actuellement par le mouvement de grève des sages-femmes. 

Les sages-femmes font "peu" de recherche. Enfin, peu par rapport à tout ce qui pourrait être fait. 

Nous avons évidemment le travail de recherche effectué pour notre Mémoire de Diplôme d'Etat. 
Si nous passons des diplômes supplémentaires de type DU (diplôme universitaire), nous pouvons travailler sur la recherche (mais uniquement dans le cadre précis de ce DU). Mais hormis cela, le parcours de la recherche est très difficile pour les "simples" sages-femmes. 
Celles qui souhaitent se consacrer à la recherche sont obligées de repasser par l’université, refaisant tout le cursus (master, doctorat) pour enfin accéder au Saint Graal. Vous me direz : "c'est donc faisable". Oui, en effet, mais ce n'est pas évident, d'autant plus que certains master ne veulent pas accueillir des sages-femmes dans leurs rangs. Et une fois ce cursus fait, ce diplôme obtenu, il faut encore pouvoir être publié... Un réel parcours du combattant pour tous les chercheurs, mais encore plus lorsqu'on vous met des bâtons dans les roues. 

Obtenir le statut de Praticien Hospitalier comme demandé par le Collectif des Sages-Femmes permettrait une meilleure place de la sage-femme dans la recherche. 

Et quand on voit justement la tournure prise par les évènements récents, la recherche nous permettrait de clarifier les choses, enfin. 

Une étude sur la fréquence de ce fameux "point du mari" et sur ses conséquences permettrait d'avoir de vrais arguments à opposer à ceux qui la pratiquent... ou qui nous considèrent comme des affabulatrices. (Voir l'article publié récemment sur 20 minutes : "le point du mari est-il un mythe ?" corrigé depuis : "Point du mari : on ne peut remettre en cause la parole des femmes")
Une étude sur la notion de consentement lors de la pratique d'une épisiotomie (ou de tout autre geste médical) nous permettrait d'avoir une conduite transparente envers nos patientes. 

Or, actuellement, notre pratique de sages-femmes ne s'appuie que sur des études menées par des médecins, sur des sujets qui intéressent les médecins uniquement. C'est ainsi que de nombreuses études existent sur l'hémorragie de la délivrance mais pas sur le déclenchement physiologique du travail...

Les sages-femmes sont formées pour accompagner la physiologie et dépister la pathologie. Les médecins sont formés pour traiter la pathologie. De ce fait, la physiologie n'a que peu de place dans leur champ de recherche, mais elle aurait toute sa légitimité dans le nôtre. 

A condition qu'on nous laisse y accéder.

lundi 24 mars 2014

Le "point du mari"

Lorsqu'on est désœuvrée, on a tendance à passer beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, histoire de ne pas rompre le contact avec le monde de la santé et ses consœurs et confrères. C'est pourquoi j'ai été une des premières au courant de cette histoire de Point du Mari.

Née d'une anecdote racontée par une collègue et qui a choqué bon nombre d'entre nous, cette histoire a quitté le sphère "intime" de la page privée pour se répandre sur le net lorsque Agnès Ledig, sage-femme et auteur, a utilisé sa plume pour mettre des mots sur cet acte. (Vous pouvez trouver le texte ici) L'indignation, l'horreur, la méfiance se sont répandus à vitesse grand V sur la toile et parmi les groupes de femmes, de parents, de professionnel de la santé. (#PointDuMari sur Twitter)

Parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui ignoraient cette pratique (heureux soient-ils !) et nombreux également à ne pas comprendre comment cela pouvait exister et pourquoi d'autres laissaient faire sans rien dire. Je vais essayer de répondre à ces deux questions.

Je vais commencer par vous narrer comment on m'a appris la suture dans mon école de sages-femmes, en vous précisant que ce sont des cours assurés par une sage-femme et qu'elle nous apprend donc ce qu'elle a elle-même appris. Il est donc évident que d'une sage-femme à l'autre, d'une école à l'autre, le contenu de ce cours est très varié. 
Dans mon cas, le cous a été très technique : "on suture tel plan avec tel plan, on s'assure de la conformité anatomique". Au cours de son exposé, la sage-femme a ajouté "et si besoin, on peut parfois rajouter un point en plus pour atténuer la béance vaginale consécutive à l'accouchement". Rien de bien précis, nous sommes ensuite passés sur nos blocs de mousse pour nous entrainer à tenir nos pinces et faire nos nœuds. 

Autant dire que lorsque j'ai assisté à ma première reprise de suture, je découvrais un monde complètement nouveau. 
 
J'ai finalement appris à suturer avec différents maitres : 
- le plus souvent, on m'apprenait à "serrer suffisamment pour que ça tienne mais pas trop pour que cela ne lui fasse pas mal". Dans ces cas-là, personne pour nous préciser si l'on parlait de douleurs post-partum ou plus tardives, liées à l'accouchement ou à la sexualité et dans ma grande candeur de cette époque, je ne m'étais pas particulièrement posée la question.
- d'autres préconisaient de "bien serrer pour pas que ça lâche". Alors, je serrais. Et comme mon stage ne me permettait pas toujours de revoir mes patientes, j'ignorais alors quel avait été leur vécu par la suite. 
- enfin, certains rajoutaient ce fameux point évoqué en cours, avec parfois, pas toujours, une remarque plus ou moins anodine : "Monsieur appréciera". Dans ma grande candeur (bis), là non plus je ne posais pas de question. 

Aujourd'hui, on pourrait s'étonner de mon manque de réaction. 
Il venait en premier de ma grande ignorance personnelle des relations sexuelles. Je n'avais aucune expérience pratique de ce genre de choses. Je ne connaissais donc pas ces douleurs qui peuvent arriver au cours d'un rapport, quelle était la part du masculin et du féminin, la part du psychique et du physique. Candide et innocente j'étais. 
Le programme scolaire ne m'aidait pas non plus. En effet, la sexologie n'était abordée qu'au cours de la dernière année d'étude. Je suturais donc depuis plus de trois ans déjà des périnées lorsqu'on m'a parlé pour la première fois de ces conséquences. 
Ensuite, il faut comprendre qu'au cours de nos stages, je voyais beaucoup de périnées... mais des périnées fraichement "accouché". Je n'avais comme vision de la normalité que ces vulves béantes d'avoir laissé passer un enfant. Ce n'est là aussi qu'en dernière année que j'ai pu découvrir d'autres périnées, lors de mon stage (optionnel) chez une sage-femme libérale qui pratiquait la rééducation du périnée. 
Tout ceci cumulé faisait que, finalement, ce point de resserrage pour rendre un peu d'étroitesse à un vagin ne me choquait pas plus que ça et me paraissait presque logique.

Il faut également ajouter un autre facteur : l'ambiance dans les maternité était à l'obéissance. Évidemment en tant qu'étudiante mais même plus tard, lorsqu'un médecin (ou quelqu'un ayant plus d’expérience que moi) me disait de faire un point en plus, j'obéissais, me disant que si cela m'était demandé, c'est que c'était nécessaire. 
Les femmes étaient également dans cette optique, accouchant sur le dos bien gentiment, acquiesçant à tout ce qu'un professionnel de santé, un "sachant" leur disait. 

Tout ceci pour expliquer pourquoi "nous laissions faire"

Depuis, les choses ont changé. J'ai pour ma part évolué, pris du recul sur ma pratique et ses conséquences, perdu mon innocence et ai compris ce qui était le plus important : la femme, et qu'elle était la mieux placée pour me dire ce qui lui convenait, à elle. 
Les femmes également ont changé, demandant à être partie prenante de leur accouchement.
La physiologie et le respect ont réinvesti les salles d'accouchement. 

Voilà pourquoi aujourd'hui une telle affaire peut éclater, parce que la parole des soignants et des femmes s'est libérée. 

Pour autant, il reste notre première question : pourquoi certains se sont autorisés à pratiquer ce fameux point ? 
Est-ce par ignorance comme c'était mon cas ? Peut-être. Mais lorsque l'on se permet de rajouter ce fameux "monsieur appréciera" c'est qu'il y a une autre volonté. 
Un "madame appréciera" aurait pu traduire une vraie maladresse, la pensée que ce point allait aider les femmes dans leur sexualité future. Oui, même si ce n'était pas le cas, mais au moins, l'intention aurait pu être bonne.

Or, non, c'est Monsieur qui est censé apprécier la nouvelle anatomie de sa compagne. Et le dire ainsi, c'est bien sous-entendre que la sexualité de l'homme est supérieure à celle de la femme. Et que le corps de la femme n'est là que pour son bon plaisir, son bon vouloir. Quitte à le mutiler comme c'est le cas lorsqu'on pratique ce "point du mari".
Je ne suis pas sociologue, je ne m'aventurerais pas à faire une analyse poussée de ce qui est manifestement de la misogynie. Je vais plutôt me pencher sur la vision de la médecine.

Lorsqu'on évoque le cas du "point du mari", c'est explicitement la sexualité de la femme qui est niée. Mais si l'on se penche sur les actes médicaux effectués sur les femmes en général, c'est carrément leur identité qui est bafouée.

Certains professionnels de santé parlent aux femmes comme si elles étaient des enfants "Quoi ? Un stérilet ? Vous n'y pensez pas !"
Certains professionnels de santé se permettent des actes qu'ils n'aimeraient pas qu'on leur fasse "je vous fais le toucher vaginal pendant que mon interne vous prend la tension, on perd moins de temps" (le sous-entendu étant limpide, on perd son temps à examiner une femme ou à lui prendre la tension donc autant tout faire en même temps, sans le moindre respect pour ce que ce mépris inspire à la patiente, devenue un véritable objet - sans parler de l'objectivité d'une tension prise dans de telles conditions).
Certains professionnels de santé ignorent tout bonnement l'affect de leurs patientes "mais non, je vous fais pas mal en vous examinant, et pis bon, après tout, faut bien que je vois comment est placé ce bébé, serrez les dents voyons !".
Certains professionnels de santé oublient la base de la médecine à savoir le libre consentement des patients "quoi ? vous ne vouliez pas d'épisiotomie ? Ah, mais je vous en ai fait une de toute façon"
Certains professionnels de santé vous demandent de vous mettre complètement nue pour un simple prélèvement vaginal. 
Certains professionnels ne suivent pas les recommandations de la Haute Autorité de Santé (référence donc) parce que eux, pensent différemment. Et les femmes se retrouvent donc avec des frottis tous les ans à partir de 15 ans. Ou d'autres se voient retirer leurs seins à 85 ans, subir une chimiothérapie et ses horreurs parce qu'un professionnel de santé aura outrepassé les recommandations et décidé de pratiquer une mammographie malgré tout. 

Ceci n'étant que des exemples parmi d'autres. 

Comment, pourquoi des professionnels de santé, qu'ils soient homme ou femme, osent-ils se permettre ce genre de comportement ? 
Parce que c'est ce qu'on nous enseigne pendant nos études : nous sommes l'élite, nous soignons des gens, nous sauvons des vies, donc nous pouvons nous permettre de juger ce qui est bon ou ne l'est pas. Quitte à être maltraitant. Quitte à être misogyne.
Parce que c'est ce que nous "demande" la société (ou du moins ce qu'elle nous demandait jusque il y a peu de temps). Le médecin était considéré comme un notable, à l'égal du curé ou du maire. Aujourd'hui, la pénurie dans certaines régions fait qu'il n'y a plus de réel choix du praticien ou alors que le délai pour un rendez-vous est tellement long qu'on est prêt à se plier à tout pour pouvoir être pris en charge, fusse à notre propre détriment.
Cela touche plus les femmes que les hommes car trop longtemps, elles, nous avons été infantilisées et diminuées.

Il est aujourd'hui temps d'ouvrir les yeux et de ne plus l'accepter. En cela, le "point du mari" sera-t-il finalement salutaire.

mardi 11 mars 2014

Lorsque ça ne marche pas comme on le souhaitait

Ils avaient pris leur décision, contacté la seule sage-femme du département le pratiquant et n'attendait qu'une chose : que cet enfant donne le signal du départ pour cette belle expérience d'un accouchement à domicile. Mais cela ne se passa pas comme prévu.

La poche des eaux se rompit un matin, annonciatrice du bel évènement qui se préparait. Du moins, le croyaient-ils. Lorsque 24 heures plus tard, l'eau s'écoulait toujours mais sans la moindre contraction utérine pour ouvrir la porte à cet enfant, la sage-femme et eux-même durent se résigner à l'inévitable : aller à la maternité pour déclencher l'accouchement. 

Ils sont arrivés furieux, furieux contre le sort, contre la maternité qui semblait devenir le symbole de l'échec de leur rêve, en opposition avec tous et toutes et créant dès leur arrivée une opposition symétrique à leur encontre de la part de l'équipe.

La faute à qui ? 
A l'équipe pas encore ouverte au retour de la physiologie dans les salles d'accouchement ?
A leur sage-femme qui n'a pas su les préparer à cette éventualité et leur a présenté l'hôpital comme un lieu où ils deviendraient les victimes de bourreaux ?
A eux qui n'ont pas su comprendre que la maîtrise n'a que très peu de place dans un accouchement ?
Qu'importe ! Le résultat était là et tous nous allions devoir faire avec.

Lorsque j'arrive en salle d'accouchement pour la relève ce matin-là, l'ambiance est électrique. Les sages-femmes ne veulent pas s'occuper d'eux, vexées d'être vues uniquement comme des tortionnaires en puissance. Les médecins râlent devant l'inconséquence de cette sage-femme libérale qui ne sait que prendre des risques en osant proposer des accouchements à domicile. 
Il va bien falloir que quelqu'un se dévoue pour s'occuper d'eux, la poche des eaux est rompue depuis 48 heures désormais et il ne passe toujours rien. J'aime les défis, j'aime la physiologie, je me propose, au grand soulagement de mes collègues. 

Les futurs parents sont fermés, prisonniers de leur déception et de leur rancœur. Alors, je mets d'emblée les cartes sur la table : "non, ils ne pourront désormais éviter la médicalisation de leur accouchement, oui, je comprends leur déception et leur frustration mais ils doivent désormais faire leur deuil d'un accouchement à domicile pour cette naissance, non, je ne pourrai pas faire comme s'ils étaient chez eux mais on peut tenter de s'en approcher le plus possible". Cette franchise semble les débloquer. 

Je branche la perfusion qui va provoquer les contractions, nous obturons les fenêtres, ils installent un lecteur pour écouter de la musique. Ils ne peuvent échapper aux fils du monitoring et à celui de la perfusion mais nous jonglons avec pour lui permettre de prendre les positions qui la soulagent. 
Au bout de quelques heures, la douleur est trop forte : le corps ne réagit pas pareil aux hormones de synthèses qu'à ses propres hormones. La douleur est plus difficile à gérer ainsi. Elle décide d'avoir recours à une analgésie péridurale. Nous continuons pour autant à alterner les positions et elle finit par mettre au monde son enfant en position "sur le côté". Un véritable sourire apparait alors sur son visage, premier vrai sourire spontané de cette journée. 

Lorsque je les accompagne dans leur chambre, le mari me remercie chaleureusement, elle semble encore sous le choc, de la naissance, de la frustration. Elle semble avoir du mal à faire la part des choses. 

J'y repasserai encore deux fois avant leur départ de la maternité. Ce n'est que lors de ma dernière visite qu'elle m'a paru enfin libérée. Ce jour-là, elle m'a remis un paquet de chocolats et une carte.

Sur la carte, ces quelques mots : "merci pour tout, je n'ai pas eu l'accouchement dont je rêvais, mais j'ai eu la sage-femme dont je rêvais."

Quelques mois plus tard, je les ai croisés dans la rue : heureux, apaisés, leur petite fille épanouie dans leurs bras. La déception avait été oubliée.

dimanche 9 mars 2014

Pour quelques gouttes de lait...

L'année dernière, j'ai passé le Diplôme Inter Universitaire Lactation Humaine et Allaitement Maternel (DIULHAM pour les intimes).
Plus de 100 heures réparties sur trois semaines consacrées à l'allaitement dans toutes ses facettes : anatomie, physiologie, pathologie, mais également psychologie, sociologie, anthropologie... Sans oublier les facettes inhérentes aux soins d'un nouveau-né et à la relation mère-enfant. 
Ce diplôme est obtenu après validation d'un examen écrit et réalisation d'un mémoire de recherche sur le thème de l'allaitement. 

Pour ma part, j'ai décidé de faire mon mémoire sur "la place de l'allaitement dans l'entretien prénatal précoce".
L'entretien prénatal précoce est un entretien qui est proposé (ou qui devrait l'être, si nous vivions dans le meilleur des mondes) à toutes les femmes enceintes lors de leur quatrième mois de grossesse. C'est un entretien qui se situe en-dehors du suivi médical et qui laisse la place au dialogue afin de permettre à la femme, au couple, de mettre des mots sur ces changements venus et à venir. 
L'allaitement étant une part importante du vécu avec un nouveau-né, il me paraissait important de l'évoquer dès ce moment, car, comme l'accouchement, les femmes ont beaucoup d'idées reçus à son sujet. 
Il me paraissait également intéressant de l'évoquer dans une autre optique : lorsque les femmes ont un échec d'allaitement, celui-ci peut avoir des répercussions très importantes, allant du refus d'allaiter les enfants suivants au risque de faire une dépression du post-partum à cause du sentiment d'échec que cela peut induire. 

Une des mes amies a justement fait une dépression du post-partum suite à l'échec de son premier allaitement et si, cela n'a pas consciemment motivé mon choix, je suis maintenant persuadée que cela l'a été inconsciemment.

En effet, alors que je rédigeais ce mémoire, mon amie était enceinte de son deuxième enfant, à 200 km de moi.
Alors que je mettais la touche finale à ce travail de recherche, elle est venue vers moi pour parler de cet échec et de ses nombreuses craintes concernant son second allaitement. Elle était partagée entre l'envie de ne pas tenter et celle de se prouver qu'elle pouvait y arriver. L'ambivalence était profonde et à force de discussion, elle a fini par décider de "tenter sans se borner", ce qui m'a paru un choix très simple et très juste, essayer sans se mettre la pression.


C'était sans compter qu'une grossesse, un accouchement et un allaitement se vivent rarement seuls.


De par nos discussions téléphoniques, elle était bien sensibilisée sur ses faiblesses, elle avait bien identifié ses peurs et avait pu mettre à jour des solutions de contournement. Elle savait également qu'elle n'avait rien à gagner à cacher cet antécédant de dépression du post-partum et du lien avec son échec d'allaitement. Autant la médecin que la sage-femme qui la suivaient étaient au courant. C'était noté dans son dossier médical. 

Pour autant, alors qu'elle était en demande de réassurance, sa sage-femme libérale ne lui a prodigué que des conseils basiques au cours d'une séance collective de cours de préparation à l'accouchement. A ce moment-là, elle n'a pas osé abordé son vécu et ses craintes de peur d'effrayer les autres mamans. Sa sage-femme n'est jamais revenue en privé avec elle sur le sujet. 

Pour autant, alors que son enfant avait montré au cours des premières tétées qu'il avait tout compris et en dépit des recommandations médicales actuelles, on lui a imposé de donner un complément de lait artificiel à un jour de vie, au prétexte que "un bébé ne doit pas dormir si longtemps". Première étape de démolition d'une confiance en soi difficilement acquise. 

Pour autant, alors qu'elle avait spécifié qu'elle ne voulait pas que l'on touche à sa poitrine et en dépit des recommandations actuelles, une auxiliaire de puériculture a passé outre sa volonté et lui a imposé un contact physique qui la mettait mal à l'aise. Deuxième étape pour briser les défenses d'une femme meurtrie dans sa chair.

Pour autant, lorsqu'elle a fini par décider d'allaiter son enfant au biberon par l'intermédiaire d'un tire-lait, alors que, forte de mes conseils, elle avait demandé un tire-lait adapté à sa physiologie, un pharmacien n'a rien trouvé de mieux que de lui refiler un vieil appareil anti-physiologique et douloureux sous prétexte que "bah, si ça marche pas, vous n'aurez qu'à passer au lait artificiel". Dernier coup de grâce pour une femme déjà à terre. 


Aujourd'hui, évidemment, mon amie n'allaite plus. Fera-t-elle de nouveau une dépression du post-partum ? Il est trop tôt pour le savoir mais j'espère, j'espère vraiment que malgré tout, cela pourra lui être évité.


Comment aurais-je pu l'aider plus que je ne l'ai fait ? Même si j'ai pu lui donner toutes les infos dont elle avait besoin, tous les conseils, comment lutter contre les professionnels qui sont là, auprès d'elle, quand moi je suis si loin, si désœuvrée ? Comment lutter contre l'ignorance et l'indifférence ? 


Et si encore mon amie était un cas isolé... Mais c'est loin d'être le cas et je rage, je rage, de me retrouver aujourd'hui ainsi à ne pas pouvoir vraiment les aider, à ne pas pouvoir leur offrir l'expertise que ce diplôme me confère désormais, faute d'un poste, d'un cabinet, d'un lieu où exercer...

Je rage.