jeudi 13 novembre 2014

On m'a dit que...

On m'a dit que...
  • je ne pouvais pas "avoir" un stérilet car je n'ai pas encore eu d'enfant,
  • je ne pouvais pas avoir recours à la stérilisation car je voudrais peut-être des enfants dans quelques années,
  • je devais avoir un frottis même si j'ai moins de 25 ans, parce que j'ai commencé à avoir une activité sexuelle il y a quelques années,
  • je devrais faire une mammographie avant 50 ans parce qu'on sait jamais et qu'il vaut mieux dépister trop tôt que trop tard,
  • je devrais faire une mammographie à 80 ans parce qu'on sait jamais et qu'il vaut toujours mieux dépister,
  • je ne devais pas avoir de relations sexuelles pendant la grossesse,
  • je devais faire le dépistage du diabète gestationnel même si je n'ai aucun facteur de risque parce qu'on sait jamais et qu'il vaut mieux faire un test pour rien, 
  • je ne devais pas prendre de bain après un accouchement,
  • je devais attendre un mois pour reprendre les rapports sexuels avec mon mari mais que "ça" devait être fait avant la visite post-natale à six semaines,
  • je devais ne donner que 4 fois le sein par 24 heures à ma fille de deux mois,
  • je ne devais SURTOUT PAS m'endormir avec elle dans mon lit,
  • je ne devais surtout pas utiliser de liniment pour nettoyer ses fesses,
  • je n'avais pas besoin de faire la rééducation du périnée car j'ai eu une césarienne...
On dit tellement de choses aux femmes, enceintes ou non et aux jeunes accouchées.
On dit tellement de choses qui ne sont pas le moins du monde justifiées.

Et pourtant, en médecine, et donc en gynécologie-obstétrique, nous sommes tenus à ne délivrer que des informations conformes aux données actuelles de la science, comme il nous l'est clairement exigé dans nos codes respectifs de déontologie.
Art 32 du Code de Déontologie des Médecins : "le but du médecin est d'apporter au patient la résultante des connaissances  acquises tout au long de ses études, et de son expérience, à condition qu'elles soient conformes aux données actualisées de la science". 
Art 11 du CDM : "il devra constamment mettre à jour ce qu'il a appris". 
Art R4127-325 (Code de Déontologie des Sages-femmes) : "dès lors qu'elle a accepté de répondre à une demande, la sage-femme s'engage à assurer personnellement avec conscience et dévouement les soins conformes aux données scientifiques du moment que requièrent la patiente et le nouveau-né".
Art R4235-11 (Code de Déontologie des Pharmaciens) : les pharmaciens ont le devoir d'actualiser leurs connaissances.

On parle également d' "Evidence-based medicine" que l'on peut définir ainsi : l'"Evidence-Based Medicine" (EBM ou médecine factuelle) se définit donc comme l'utilisation consciencieuse et judicieuse des meilleures données (preuves) actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de chaque patient" (Sackett, 1996). Ces preuves proviennent d'études cliniques systématiques, telles que des essais contrôlés randomisés, des méta-analyses, éventuellement des études transversales ou de suivi bien construites. (Source  et source)

Nos conseils, nos "on dit que", devraient donc toujours être basés sur les données actuelles de la science. 
Lors de mon DIU de lactation humaine et d'allaitement maternel, c'est ainsi qu'étaient dispensés les cours. Des études, des études et encore des études.

Seule une médecine basée sur les preuves peut être vraiment respectueuse du patient. Nos patients ne sont pas des enfants à qui l'on peut raconter des "bobards" car ils sont trop jeunes ou trop immatures pour comprendre. Nos patients devraient être nos collaborateurs et une collaboration ne peut fonctionner sans une parfaite franchise et honnêteté. 

Alors, pourquoi, en gynécologie-obstétrique, en 2014, presque 2015, entend-on encore tous ces "on m'a dit que" ? 

La féministe cynique en moi répondrait très facilement : "parce que ce sont des femmes". Les femmes ont été si longtemps considérées comme secondaires par rapport aux hommes, comme incapables de prendre des décisions. Mais pourtant, ce sont aussi des femmes, sages-femmes, médecins ou pharmaciennes, qui répètent ces "on m'a dit que"... Sauf qu'être une femme ne sous-entend pas être féministe et que la médecine reste encore actuellement un milieu très patriarcal.

Mais est-ce la seule raison ?

Une autre réponse me vient à travers la théorie des "tiroirs de la communication".

En effet, lors du cours sur la communication au DIULHAM, Ingrid Bayot nous avait expliqué ce qu'elle appelait "les tiroirs de la communication". 
    1. On trouvait en premier tout ce qui touchait à l'expérience : un échec d'allaitement, une erreur de diagnostic... et à l'affect : des convictions religieuses, des phobies... 
    2. Dans le deuxième, on mettait tout ce qui était démontré, scientifiquement valable : les études sur la guérison spontané des moins de 25 ans en cas de lésions cervicales, les pourcentages de mort subite du nourrisson en cas de cododo, les effets bénéfiques de l'allaitement...
    3. Dans le dernier, on retrouvait tout ce qui était adapté à tel patient : sa peur des microbes, son envie d'allaiter longtemps, son niveau socio-professionnel...
    Elle nous expliquait que lorsqu'on donne des conseils, quels qu'ils soient, on piochait tantôt dans un tiroir, tantôt dans un autre. En tant que professionnels de santé, nous ne devrions jamais nous servir du tiroir 1 (ou disons plutôt que nous devrions bien le connaître pour ne pas nous laisser parasiter). Le 2 parait idéal pour répondre aux exigences des codes de déontologie. Sauf qu'il est trop restrictif. Ne donner que des études peut très vite obtenir l'effet inverse. Ingrid Bayot nous avait expliqué que l'idéal, c'était d'identifier son tiroir 1, de se nourrir du 2 et d'utiliser le 3 pour l'adapter à CE patient

    Or, que voit-on aujourd'hui ? Un tiroir 2 malmené, un tiroir 1 hypertrophié et un tiroir 3 complètement nié.
    En effet, pour se baser sur des études, il faut encore qu'il y en ait. Ou qu'on donne du crédit à celles qui existent. Or, les études que l'on peut trouver en gynécologie et obstétrique se penchent généralement sur des sujets plus "sérieux" que celui de ces "on m'a dit que".
    • A-t-on déjà vu une étude sur les risques infectieux liés à un la prise d'un bain en post-partum ? En tout cas, je n'en trouve pas lorsque je recherche sur Google Scholar. Par contre, je trouve des articles sur la dépression du post-partum ou les hémorragies. Certes, ce sont des sujets plus "sérieux". Est-ce parce qu'il s'agit de sujets "basiques" de femmes que ces études n'ont pas été menées ? De sujets d'apparence triviaux ? Ou est-ce parce que les professionnels de santé qui mènent ces études sont déconnectés des préoccupations pratiques des femmes ? Ou que ceux qui s'en préoccupent n'ont pas accès à la recherche, comme c'est le cas pour les sages-femmes
    • A-t-on déjà vu des études sur l'impact du cododo ? Sur l'allaitement à la demande ? Sur le risque infectieux lié au port d'un stérilet ? Oui. Là, oui. Et pourtant, les professionnels les négligent. Pourquoi ?  Pourquoi en effet les professionnels de santé refusent-ils de voir ces résultats ? Pourquoi certains professionnels bafouent volontairement les recommandations (comme c'est le cas pour le dépistage des cancers féminins par frottis ou mammographie) ? Parce que leurs croyances, leurs peurs, leurs expériences personnelles viennent parasiter leur jugement. Le fameux tiroir 1.

    Voilà finalement peut-être une triple explication à ces "on m'a dit que" : trop de tiroir 1, une absence de tiroir 2 et un tiroir 3 faussé par une vision patriarcale... Un peu rapide, peut-être... Ou peut-être pas. 
    A votre avis ? 

    5 commentaires:

    1. Je dirai pas qu'une société ou un système patriarcale soit mauvais à la base, mais cela l'est uniquement si les hommes ne sont pas dans l'acceptation du féminin et masculin pleinement respecté et en totale harmonie aussi bien envers le sexe opposé qu'en vers son propre "autre" côté. Si un système patriarcale n'est pas dans cette énergie là oui il y a pb, et pour moi c'est du machisme, pas la faute du patriarca... et pareil pour les sociétés matriarcales, où souvent on dit que c'est mieux, les fameuses tribus de femmes amazones montrent bien le contraire, totalement dans le refus de l'homme...

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    2. Je me retrouve tellement dans cet article, actuellement en stage en suites de couches, j'ai entendu plusieurs fois des sages-femmes dire à des femmes lors de leur visite de sortie "bon et voilà de la documentation sur la rééducation périnéale, mais bon vous avez eu une césarienne/c'était votre premier bébé/vous êtes encore jeune, donc c'est pas une obligation et puis en plus il faut être motivée pour le faire !" et négliger totalement lors de l'examen d'accouchée de contrôler les membres inférieurs ou de contrôler les saignements alors que ce sont des risques réels dans le post partum... Ou encore quand ma sage femme essaie de me convaincre me faire un frottis alors que je n'ai que 20 ans et que j'ai appris à l'école de sages-femmes que c'est justement à 20 ans qu'il y a un pic d'infections à HPV mais que la plupart du temps, les lésions disparaissent et que c'est justement à partir de 25 ans qu'il faut s'inquiéter... Bref des exemples il y en a à la pelle, et c'est pour ça que cet article devrait être à diffuser largement !!

      Zep' (de PI)

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    3. On m'a dit que comme j'ai eu un gros bébé en césa, le deuxième ce serait césa d'office. Bah voui parce qu'une femme c'est trop bête pour contrôler son sucre (diabète gesta) et on s'en fout de lui flinguer toute perspective d'accouchement VB, c'est bête une femme.

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      1. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2012-03/reco2clics_indications-cesarienne.pdf
        Vous avez tout ce qu'il faut pour vous "défendre" à la page 7.
        Bon courage et bonne continuation (et si votre maternité préfère utiliser son tiroir 1 que cette belle recommandation digne d'un tiroir 2, changez de maternité si cela vous est possible ! ;-) )

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    4. Surtout tout le monde raconte n'importe quoi aux jeunes mamans, persuadé, jeunes naïves, qu'elles sont totalement désinformées et probablement débiles alors qu'elles sont en réalité surinformées.

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