A peine a-t-elle commencé à évoquer sa première grossesse que les larmes lui montent aux yeux. Pourtant, son fils de 6 ans joue presque sagement dans la pièce à côté.
Mais les larmes viennent, qu'elle essaie de cacher entre deux sourires.
L'accouchement s'est-il mal passé ? Non, hormis le fait qu'elle a été déclenchée à 36 SA sur des anomalies du rythme cardiaque fœtal.
Le petit a dû passer quelques jours en néonatologie ? Non, même pas. Petit poids mais en pleine forme.
Les suites ont été difficiles ? Non. il aura fallu un peu plus de temps pour que le bébé reprenne son poids de naissance mais elle l'a allaité pendant sept mois sans souci.
Alors, pourquoi de telles larmes alors qu'elle débute une seconde grossesse ?
Peut-être parce qu'il aura fallu six années pour accepter de revivre "ça".
Ça ?
Le parcours d'une grossesse.
Elle n'a eu aucun suivi régulier pour sa première grossesse. Non pas que ce soit une patiente inattentive, loin de là bien au contraire. Mais les contractions sont arrivées trop tôt dans sa grossesse pour que cela soit mis en place. Elle n'a consulté qu'aux urgences de la maternité de niveau 3. Tellement souvent que personne n'a tilté qu'elle ne voyait personne d'autre qu'eux.
Tellement souvent que même la sage-femme qu'elle avait contactée pour faire des séances de préparation à la naissance n'a pas tilté. Séances qui n'ont d'ailleurs pas eu lieu puisque la sage-femme ne se déplaçait pas à domicile et que le repos strict lui avait été prescrit dès 4 mois de grossesse.
Tellement souvent que la seconde sage-femme, venue la voir à domicile pour enregistrer le bébé et les contractions, n'a pas tilté, la renvoyant d'ailleurs au bout du premier enregistrement directement aux urgences.
Tellement souvent qu'elle a fini par ne plus rien comprendre de ce qui lui arrivait, de ce qu'on lui demandait : "il faut compter vos contractions", "malheureuse, pourquoi compter vos contractions ???", "mais vous ne savez pas combien vous en avez eu ?"...
Tellement souvent qu'elle a fini par ne plus avoir confiance en elle, en eux, en son bébé à naître.
Tellement souvent qu'elle a fini par ne plus vouloir revivre cela.
Mais la vie est plus forte, et le désir d'un autre enfant est revenu, lui tordant le ventre de peur, faisant systématiquement monter en elle des larmes intarissables.
Alors, elle a souhaité autre chose pour cette grossesse.
Elle a débuté un suivi avec un obstétricien du CHU une semaine après avoir fait son test de grossesse.
En parallèle, elle a continué à voir son gynécologue qui consulte en clinique.
Elle est suivie, elle a des référents.
Elle envisage de faire de la préparation à la naissance avec une sage-femme et commence à se renseigner sur ce qui est possible... et sur la disponibilité des sages-femmes pour venir à domicile si nécessaire.
Mais les larmes continuent pourtant de couler.
C'est à ce moment-là que j'entre dans la partie. Non pas comme une sage-femme puisque je suis toujours autant désœuvrée, mais comme amie et conseillère. Je l'oriente alors vers une sage-femme que je connais bien, spécialisée dans les troubles de la périnatalité et qui exerce au CHU. Le contact se passe très bien, les larmes coulent mais les mots, les maux, sortent.
Sauf que le monde médical lui impose un choix : hôpital ou clinique ? Lequel des deux obstétriciens ? Elle sait que les prises en charge sont différentes mais elle n'arrive pas à se décider, elle tremble, elle doute : "et si ce bébé était de nouveau prématuré ? Et si cette grossesse était aussi délicate ? Où serait-elle le mieux prise en charge ? Au CHU qui sait si bien gérer la pathologie ? Dans cette clinique où on privilégie l'accompagnement humain ? Sauf que la sage-femme qu'elle voit au CHU n'y sera pas..." Elle doute, elle tremble et les larmes coulent, intarissables.
Elle entame son sixième mois et n'a toujours pas choisi... et les larmes coulent toujours.
Que se serait-il passé si cette femme n'avait eu qu'un seul référent pour sa première grossesse ? Une sage-femme, un obstétricien qui l'aurait connu, qu'elle aurait connu ?
Que se serait-il passé si cette femme avait eu un "praticien-ressource" qui aurait pu répondre à ses questions, entendre ses craintes et lui tenir un discours unique et adapté à ce qu'elle vivait ?
Que se serait-il passé si cette femme n'étaient pas tant passé aux urgences, n'avaient pas rencontré autant de professionnels de santé différents ?
Que se serait-il passé si cette femme avait eu confiance en elle, en celui qui aurait suivi sa grossesse, en son bébé à naître ?
Quand le monde médical de la naissance prendra-t-il donc conscience de l'importance d'un suivi global ?
Ce qu'il se passe au cours d'une grossesse est tellement important, tellement créateur pour les femmes... Autant que cela soit créateur de force plutôt que de larmes... intarissables.
Bonjour Agathe,
RépondreSupprimerVos post me plaisent beaucoup! Je suis une étudiante sage-femme (en reconversion) et je me demande si moi aussi je vais devenir une sage-femme désoeuvrée. J'aimerais vous contacter en privé, comment faire?
Bonjour, vous pouvez m'écrire à agathetournesoleil22@gmail.com
SupprimerBonne journée
Que j'aime mon suivi quasi global par ma sf libérale ! Suivi de grossesse, préparation à la naissance, rdv des 10 jours de mon bébé, consultation post-natale, actuellement rééducation périnéale, puis, dès qu'elle sera formée, contraception... N'ont manqué que les dernières consultations de suivi de grossesse et l'accouchement... Mais c'est déjà super, je n'avais pas vécu cela pour ma première grossesse, et pour moi, ce fut une vraie rencontre ! Elle m'a beaucoup aidé lors de l'accouchement même sans être présente. J'avais confiance en moi et savais que mes demandes ou mes refus n'étaient pas incongrus mais étaient ce qu'il y avait de mieux pour mon bébé et pour moi. Alors merci à toutes ces sage-femmes qui font un suivi le plus global possible.
RépondreSupprimerJe crois qu'en général, accompagnement global ou pas, on sous-estime l'impact que peuvent avoir le vécu de la grossesse et de l'accouchement sur la vie d'une femme, et pas seulement sur sa vie de mère. Je comprends bien que pour les professionnels de santé ce soit "business as usual", mais pour les patientes c'est un temps de chamboulement et de fragilité, un temps où elles ont besoin d'être entourées, soutenues dans leurs choix, pas traitées comme des vaches.
RépondreSupprimerHello !
RépondreSupprimerJ'irais pas jusqu'à dire que ce soit "business as usual" pour les professionnels de santé, le plus souvent, nous avons à cœur d'essayer de bien faire, sauf que, comme on dit, l'enfer est pavé de bonnes intentions ;-)