jeudi 30 octobre 2014

Les contes de fées n'existent pas

Le prince tua le dragon et délivra la princesse. Le royaume fut en fête pendant vingt-et-un jours pour fêter le retour de la princesse perdue. Alors, ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants.

Ou pas...

L'hôpital, son fronton, ses gens qui passent le temps dans la grisaille d'une journée sans fin : une femme enceinte de son quatrième enfant, rayonnante, son ventre pointant, levant son visage vers ce ciel qui allait bientôt accueillir son enfant près de naître. Arrive une autre femme, les traits fatigués d'une garde non encore terminée, une tasse d'un mauvais café pour lui réchauffer les mains et plus encore.
Sourire de la première : "Bonjour, vous êtes sage-femme, n'est-ce pas ? Je vous ai croisée lors de la naissance de ma fille, il me semble."
Le sourire fatigué de la seconde : "Oui, c'est possible. Tout se passe bien pour vous ?"
Le sourire se transforme en gémissement, mais le regard confirme : tout se passe bien, et elle peut repartir, retourner donner la vie.
Le sourire se fige, les larmes sont refoulées, amères mais habituelles : "si seulement, elle avait pu, ne serait-ce qu'une seule fois..." Que dire ? Que faire ? Comment justifier que certaines puissent et d'autres non ?
Les contes de fées n'existent pas.


Une salle d'attente : une femme enceinte de son troisième enfant, rayonnante, son ventre pointant, attendant avec impatience cette première séance de chant prénatal. Arrive une autre femme, toute timide, presque effacée, le ventre plat sur lequel elle pose ses mains avec fébrilité. 
Sourire de la première : "oh, elle doit être en tout début de grossesse, c'est si mignon, cela me rappelle tellement de choses qu'on oublie si vite quand la grossesse avance."  Et, telle une reine-mère se penchant sur la jeune épousée royale : "Tout se passe bien pour vous ?"
Sourire timide, yeux qui brillent : "Je viens pour faire de l'acupuncture, on m'a dit que ça marchait parfois et j'ai ma sixième FIV dans quinze jours. C'est ma dernière, alors je mets toutes les chances de mon côté."
Le sourire se fige, le ventre plein de vie rentre autant qu'il le peut, dans l'espoir de ne pas blesser ce ventre désireux de vie. Que dire ? Que faire ? Comment justifier que certaines puissent et d'autres non ?
Les contes de fées n'existent pas.


Un banc sur la pelouse, baigné par le timide soleil d'une fin d'hiver : une femme enceinte de son deuxième enfant, rayonnante, son ventre pointant, attendant avec patience son compagnon qui a emmené leur fils faire du toboggan. Arrive une autre femme, l'air perdue, une liasse de papiers à la main.
Sourire de la première : "Bonjour."
L'absence de sourire de la seconde : "Non, ce n'est pas un bon jour. On n'y arrivera, je n'y arriverai pas. Pas seule. Ils disent que ça peut marcher avec une FIV. Mais si ça peut marcher ainsi, pourquoi ça marche pas normalement ? Et si ça marchait pas ? Tout ça pour rien ? Est-ce que je pourrai le supporter ? Les piqures ? L'hôpital ? Peut-être est-ce un signe ? Peut-être ne devons-nous pas être parents ? Peut-être serions-nous de mauvais parents ?"
Le sourire se fige, elle ne bouge plus, tentant de se rendre la plus invisible possible et priant pour que son fils ne l'appelle pas à ce moment précis. Les larmes coulent, une main tend un mouchoir. Que dire ? Que faire ? Comment justifier que certaines puissent et d'autres non ?
Les contes de fées n'existent pas.


Un salon de thé, une pénombre rassurante : une femme enceinte de son premier enfant, rayonnante, son ventre pointant, découvrant avec toujours autant de plaisir ces premiers signes de vie en elle. Arrive une autre femme, son amie, celle qu'elle attend, celle qui attend.
Sourire de la première : "Alors ?"
Sourire las de la seconde : "Alors ils ne savent pas. Pas de raisons, tout est normal. Mais ça ne marche pas... C'est à croire qu'on ne doit pas avoir d'enfants... Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'avons-nous fait qu'il ne fallait pas ? Pourtant, on a essayé vraiment. Quand on nous l'a dit, comme on nous l'a dit. En essayant de pas y penser, comme si c'était possible..."
Le sourire se fige. La main se crispe sur ce ventre qui vient de tressaillir d'un coup de pied tout ce qu'il y a de vivant. Les larmes coulent et les bras s'ouvrent. Que dire ? Que faire ? Comment justifier que certaines puissent et d'autres non ?
Les contes de fées n'existent pas.


Une salle de bal, des ballons, des rires et de la joie. Des coupes de champagne que certaines ne boivent pas, enceintes de leurs premiers enfants, rayonnantes, leurs ventres pointant, entourant leur amie en ce joyeux jour de son mariage.
Sourires des premières : "Bientôt ?"
Sourire resplendissant de la jeune mariée : "Bientôt mais on n'est pas pressé, on sait que ça peut prendre du temps. Qu'importe, tant que nos enfants grandissent ensemble !"
Les sourires s'épanouissent, les bras se tendent, les rires fusent : "Oh oui, ils grandiront ensemble !"
Ou pas.
Que dire ? Que faire ? Comment justifier que certaines puissent et d'autres non ?
Les contes de fées n'existent pas.

Putain de contes de fées !

jeudi 23 octobre 2014

De la contraception du post-partum

J'ai assisté il y a quelques jours à un échange sur Twitter sur l'allaitement. Échange entre professionnels de santé concernés et bienveillants, de ces professionnels qui ont abandonné le paternalisme médical pour un respect du patient et de ses choix. Mais pour autant, au cours de cette conversation, une phrase m'a hérissé le poil, m'a mise en colère, sans que sur le moment, je comprenne vraiment pourquoi. 

Un de ces professionnels rapportait le fait qu'un médecin lui avait dit que la méthode MAMA (méthode de l'allaitement maternel et de l'aménorrhée) en post-partum était suffisante comme moyen de contraception et ceci lui semblait "too much", et que, dire ceci aux accouchées, c'était leur "offrir un billet pour revenir dans neuf mois". J'avoue, ça m'a fait bondir. Vraiment. 

Mais pourquoi ? Pourquoi une réaction aussi épidermique de ma part ? (alors que, je le redis, c'était une conversation vraiment bienveillante)

J'ai moi-même prescrit des pilules aux jeunes accouchées pendant des années.
J'ai moi-même tenu le discours que la MAMA, c'était bien mais pas suffisant. 
J'ai moi-même dit aux femmes (et à leurs compagnons quand ils étaient présents) que c'était "risqué" de sortir de la maternité sans moyen de contraception. 
J'ai moi-même prescrit une pilule à bon nombre de couples infertiles au prétexte que "on ne sait jamais".

De ce fait, bon nombre de mes patientes ont sagement, consciencieusement repris une pilule à peine quatre jours après la naissance de leur enfant. 

Depuis, j'ai passé le Diplome InterUniversitaire de Lactation Humaine et d'Allaitement Maternel. Je connais donc les critères de la MAMA et son taux d'efficacité.
Depuis, je fréquente des sites de partages de connaissances en gynécologie et ai appris les recommandations de la HAS et de l'OMS.

Mais ce n'est pas tant la réalité scientifique des arguments qui m'a fait bondir. Non. C'est encore cette impression, ce sentiment que, là-encore, on imposait quelque chose aux femmes. 

Depuis la polémique sur les pilules de 3ème et 4ème génération, beaucoup de professionnels de santé (sages-femmes et médecins) se sont remis en cause sur leur manière de prescrire. Beaucoup de patientes ont refusé de se laisser imposer des méthodes qui ne leur convenaient pas. On peut voir aujourd'hui dans les magazines et à nos arrêts de bus des plaquettes vantant le fait que "la meilleure contraception, c'est celle que l'on choisit". On respecte de plus en plus le droit des femmes à disposer de leur corps et à choisir leur méthode de contraception (enfin, restons réalistes, lorsque les femmes ont affaire à des praticiens professionnels et respectueux). 
Et pourtant, dans le post-partum, on impose le plus souvent aux femmes de recourir à une méthode de contraception. 

Oui, si la MAMA n'est pas respectée, la femme va récupérer une pleine fécondité. Oui. Mais pour autant est-ce lui donner un "billet pour revenir dans neuf mois ?". Les femmes ne sont pas stupides ou inconscientes. Et pour certaines, une grossesse n'est pas un "risque". D'ailleurs pourquoi utilise-t-on si facilement le terme de "risque" ? Il y a déjà un jugement dans ce terme. Il serait plus juste de dire qu'il existe une potentialité de grossesse sans méthode de contraception. Mais qui sommes-nous pour juger si c'est un risque ou non pour la femme ? 
C'est un risque si nous lui prescrivons une méthode qui lui entraine une phlébite ou un AVC, oui.
C'est un risque si une grossesse, rapprochée ou non, met sa vie en danger, oui (et encore, y a-t-il tant de risques à l'heure où la médecine surveille  de si près les femmes et les grossesse ?)
Mais une absence de contraception, un risque ? Non, juste une augmentation des possibilités. 

Arrêtons de voir les jeunes accouchées comme des idiotes. 
Arrêtons de penser qu'elles ne sont pas capables de prendre une décision juste, pour elles.
Arrêtons de penser à leur place. 

Devenir mère ne nous rend pas plus bêtes qu'un autre femme, juste plus fatiguées !

Alors, rendons-leur leur liberté de choix en matière de contraception. Et pour cela, une seule méthode me parait efficace : la parole. Expliquons aux jeunes accouchées, de la même manière que nous le ferions pour le reste de la population féminine, les différentes méthodes à leur disposition. 
Celles qui sont compatibles avec les caractéristiques du post-partum (risque thrombo-embolique supérieur...). 
Celles qui sont compatibles avec un allaitement (et qui ne vont donc pas faire baisser la lactation...).
Celles qui sont compatibles avec leur profil hématologique ou vasculaire. 
Celles qui sont compatibles avec leurs antécédants familiaux et médicaux. 
Celles qui sont compatibles avec leur mode de vie (de jeunes mamans fatiguées). 
Celles qui sont compatibles avec leur tolérance personnelle. 
Celles qui sont compatibles avec leurs désirs de grossesses.
Etc...

Et laissons-les faire leur choix. Quel qu'il soit. Même s'il s'agit de ne pas recourir à une méthode de contraception. Et de revenir dans neuf mois.


(et que le professionnel de santé qui a émis cette remarque soit remercié, il m'a ouvert les yeux sur mes propres contradictions !)

Quelques liens : 

jeudi 9 octobre 2014

De la globalité de l'accompagnement

A peine a-t-elle commencé à évoquer sa première grossesse que les larmes lui montent aux yeux. Pourtant, son fils de 6 ans joue presque sagement dans la pièce à côté. 
Mais les larmes viennent, qu'elle essaie de cacher entre deux sourires. 

L'accouchement s'est-il mal passé ? Non, hormis le fait qu'elle a été déclenchée à 36 SA sur des anomalies du rythme cardiaque fœtal. 
Le petit a dû passer quelques jours en néonatologie ? Non, même pas. Petit poids mais en pleine forme.
Les suites ont été difficiles ? Non. il aura fallu un peu plus de temps pour que le bébé reprenne son poids de naissance mais elle l'a allaité pendant sept mois sans souci.

Alors, pourquoi de telles larmes alors qu'elle débute une seconde grossesse ?
Peut-être parce qu'il aura fallu six années pour accepter de revivre "ça".

Ça ?
Le parcours d'une grossesse.

Elle n'a eu aucun suivi régulier pour sa première grossesse. Non pas que ce soit une patiente inattentive, loin de là bien au contraire. Mais les contractions sont arrivées trop tôt dans sa grossesse pour que cela soit mis en place. Elle n'a consulté qu'aux urgences de la maternité de niveau 3. Tellement souvent que personne n'a tilté qu'elle ne voyait personne d'autre qu'eux. 
Tellement souvent que même la sage-femme qu'elle avait contactée pour faire des séances de préparation à la naissance n'a pas tilté. Séances qui n'ont d'ailleurs pas eu lieu puisque la sage-femme ne se déplaçait pas à domicile et que le repos strict lui avait été prescrit dès 4 mois de grossesse. 
Tellement souvent que la seconde sage-femme, venue la voir à domicile pour enregistrer le bébé et les contractions, n'a pas tilté, la renvoyant d'ailleurs au bout du premier enregistrement directement aux urgences.
Tellement souvent qu'elle a fini par ne plus rien comprendre de ce qui lui arrivait, de ce qu'on lui demandait : "il faut compter vos contractions", "malheureuse, pourquoi compter vos contractions ???", "mais vous ne savez pas combien vous en avez eu ?"... 
Tellement souvent qu'elle a fini par ne plus avoir confiance en elle, en eux, en son bébé à naître.
Tellement souvent qu'elle a fini par ne plus vouloir revivre cela. 

Mais la vie est plus forte, et le désir d'un autre enfant est revenu, lui tordant le ventre de peur, faisant systématiquement monter en elle des larmes intarissables. 

Alors, elle a souhaité autre chose pour cette grossesse. 
Elle a débuté un suivi avec un obstétricien du CHU une semaine après avoir fait son test de grossesse. 
En parallèle, elle a continué à voir son gynécologue qui consulte en clinique. 
Elle est suivie, elle a des référents. 
Elle envisage de faire de la préparation à la naissance avec une sage-femme et commence à se renseigner sur ce qui est possible... et sur la disponibilité des sages-femmes pour venir à domicile si nécessaire.

Mais les larmes continuent pourtant de couler. 

C'est à ce moment-là que j'entre dans la partie. Non pas comme une sage-femme puisque je suis toujours autant désœuvrée, mais comme amie et conseillère. Je l'oriente alors vers une sage-femme que je connais bien, spécialisée dans les troubles de la périnatalité et qui exerce au CHU. Le contact se passe très bien, les larmes coulent mais les mots, les maux, sortent. 

Sauf que le monde médical lui impose un choix : hôpital ou clinique ? Lequel des deux obstétriciens ? Elle sait que les prises en charge sont différentes mais elle n'arrive pas à se décider, elle tremble, elle doute : "et si ce bébé était de nouveau prématuré ? Et si cette grossesse était aussi délicate ? Où serait-elle le mieux prise en charge ? Au CHU qui sait si bien gérer la pathologie ? Dans cette clinique où on privilégie l'accompagnement humain ? Sauf que la sage-femme qu'elle voit au CHU n'y sera pas..." Elle doute, elle tremble et les larmes coulent, intarissables.

Elle entame son sixième mois et n'a toujours pas choisi... et les larmes coulent toujours.

Que se serait-il passé si cette femme n'avait eu qu'un seul référent pour sa première grossesse ? Une sage-femme, un obstétricien qui l'aurait connu, qu'elle aurait connu ? 
Que se serait-il passé si cette femme avait eu un "praticien-ressource" qui aurait pu répondre à ses questions, entendre ses craintes et lui tenir un discours unique et adapté à ce qu'elle vivait ?
Que se serait-il passé si cette femme n'étaient pas tant passé aux urgences, n'avaient pas rencontré autant de professionnels de santé différents ? 
Que se serait-il passé si cette femme avait eu confiance en elle, en celui qui aurait suivi sa grossesse, en son bébé à naître ? 

Quand le monde médical de la naissance prendra-t-il donc conscience de l'importance d'un suivi global ? 
 
Ce qu'il se passe au cours d'une grossesse est tellement important, tellement créateur pour les femmes... Autant que cela soit créateur de force plutôt que de larmes... intarissables.