jeudi 24 avril 2014

Donc, "tout est dans la tête" ?

Attention, en mode énervée !

Il semblerait que cette histoire de "point du mari", qui presque un mois plus tard soulève toujours autant les passions, devienne ce qu'elle devait être : un révélateur des maltraitances dont sont victimes les femmes et de la manière dont certains (oui, j'insiste sur le certains) les considèrent. 

Sur le fond, j'en suis plutôt ravie : la parole devait être libérée et les femmes devaient ouvrir les yeux. Les soignants aussi.

Mais certains semblent pourtant préférer insulter les femmes et mépriser une profession plutôt que de croire l'évidence. 

Ainsi, pour le grand Docteur Marty, président du Syndicat des Gynécologue-Obstétricien de France (quand même.... hein !), tout se passe "dans la tête des femmes" et il s'agirait d'un "fantasme qui éveille l'excitation". PARDON ??? Ai-je bien compris ? Ce que les femmes ayant été victimes de ce point (ou de toute suture d'épisiotomie désastreuse) recherchent, c'est une excitation ???
Les femmes seraient donc des "hystériques" cherchant à attirer l'attention sur elles, peu importe le nombre de sages-femmes (professionnelles médicales pour autant...) qui sont sorties du silence pour dénoncer ce geste. 
Et donc, il ne faudrait pas y accorder autant d'importance puisque "tout est dans leur tête". Quand on pense que ce grand docteur a justifié son refus de reconnaitre les sages-femmes à leur juste valeur par l'argument que "les femmes ne sont pas que des utérus, elles ont aussi des cerveaux", ça en devient franchement risible. 

Et plus encore que cela, cela démontre clairement la manière dont les femmes sont prises en charge... en tout cas par cet homme et par ses pairs : 
- si une femme souffre dans sa chair, dans sa zone la plus intime, dans une zone tellement "mystérieuse" pour les hommes qu'ils ont créé ce terme d'"hystérie" pour définir une névrose : névrose en lien avec l'utérus pour les non-hellenistes,  c'est forcément "faux", ce n'est pas une vraie douleur, tout se passe dans sa tête...
- si une femme souffre dans sa tête, c'est de toute façon négligeable puisque ça se passe dans sa tête.
Donc, si vous êtes une femme et que vous souffrez, ce n'est pas important. 

(Ok, ok, je caricature, mais quand même...)

Mais quand arrêtera-t-on de traiter par le mépris les femmes, ces femmes qui représentent quand même la moitié de l'humanité ??? 

Et puisque ce grand docteur n'est plus à un mépris (ni à une contradiction) près, alors qu'il clame que ce point du mari n'existe pas et n'est qu'un fantasme féminin, il est quand même capable de nous dire que "La chirurgie est du domaine de l'art, on peut penser que certains médecins ont eu l'idée qu'en modifiant un peu leur façon de suturer, ils amélioreraient un peu la sexualité, et ça, ça ne nous choque pas". Hum, ai-je bien lu ??? N'est-ce pas une manière comme une autre de reconnaitre l'existence de ce geste ??? 
Donc, ce grand docteur reconnait que certains pratiquent ce geste, mais que, comme c'est de l'art, ça ne le choque pas !! 

Oh, les femmes ont-elles donné leur accord pour être traitées comme un objet et pas comme un être humain ? Les femmes sont-elles de la glaise que l'on peut manipuler à l'envie ? Et si le résultat ne convient pas, on fait quoi ? On le jette comme un vulgaire brouillon ???

Mais comment peut-on mépriser quelqu'un à ce point ?

Notons également que ce grand docteur reconnait que certains médecins ont jugé que cela améliorerait la sexualité de leur patiente. Mais que savent-ils de la sexualité de cette patiente ? De cette femme qu'ils rencontrent probablement pour la première fois le jour de leur accouchement ? Qui sont-ils pour juger sur quels critères une sexualité doit être satisfaisante ? La sexualité des uns n'est pas celle des autres et chacun vit sa sexualité comme il le souhaite, tant que cela est fait dans le respect et avec le consentement de son/sa partenaire. En quoi un médecin peut-il se permettre de croire que l'on peut classer la sexualité comme on classerait l'efficacité d'un médicament ?

Enfin, le grand docteur ayant souhaité réagir aux remarques soulevées par ce premier article, je note quand même deux chose, puisqu'il se défend en disant ceci : "Il nous est apparu important de donner cette information à l'occasion de la polémique sur ce que certains ont voulu appeler "le point du mari", avec le souci que les populations masculines et féminines n'investissent pas trop dans des possibilités chirurgicales d'améliorer leur situation dans leur vie sexuelle. Les accouchées ne devaient pas craindre non plus qu'un geste au cours d'une réfection périnéale puisse avoir un effet négatif durable."
Intéressant de noter que ce qui lui pose souci dans cette polémique, c'est en premier lieu la crainte que les couples sollicitent les médecins afin d'améliorer leur vie sexuelle. Non, son souci n'a pas été de rassurer les femmes sur une pratique qu'il va tout faire pour éradiquer, non, non. Non, ce docteur ne veut pas que les couples le voient comme le "sauveur de leur couple" !!! 
Et en deuxième point, il ne fait jamais que nier les effets indésirables que pourraient entrainer une épisiotomie ou une suture mal faite. 
Mais comment peut-on oser dire de telles choses ???? 

Et comment cet homme, si intelligent, si diplômé, censé représenter l'ensemble des gynécologues-obstétriciens de France, n'a-t-il pas compris que cette polémique était également un cri du cœur à l'encontre de toutes les maltraitances dont sont victimes les femmes dans le milieu médical ? N'a-t-il pas vu que la notion de respect, d'information éclairée et de libre consentement sous-tendait toute la polémique liée au point du mari ? Non...

vendredi 18 avril 2014

Juste un petit verre d'eau

Il est 20h dans le service des suites de couche et je termine mes papiers en attendant ma relève qui n'aura lieu que dans 45 minutes. Tout est calme et c'est dans un quasi silence (à quelques pleurs d'enfants près ;-) ) que j'entends la porte de l'ascenseur s'ouvrir. 

Mon bureau se situe juste en face et je la vois tout de suite, tremblante, en larmes. Elle semble ne pas trop savoir où devoir aller. Je me porte vers elle et je n'ai que le temps de lui dire un "bonsoir ?" qu'elle me tombe dans les bras, en sanglotant. Je l'emmène tout doucement dans mon petit bureau cagibi, je l'assois sur ma petite chaise brinquebalante et entre deux sanglots, je lui propose un sourire et un verre d'eau. Elle accepte les deux. 

Lorsque je reviens vers elle avec le verre d'eau à la main, elle est en train d'essuyer ses larmes. 

"Que se passe-t-il, Madame ?
- Je saigne... Je crois que je suis en train de faire une fausse couche..."

Les larmes reviennent et je lui prends doucement la main, lui laissant le temps nécessaire pour revenir vers moi. 
Quand la crise est passée, nous parlons, je l'interroge le plus doucement possible et je finis par comprendre qu'elle n'a perdu que très peu de sang, sur une grossesse très récente, sur une première grossesse très désirée. J'essaie de la rassurer, de lui faire comprendre que cela ne veut pas dire que c'est fini et qu'une échographie pourrait la rassurer. Nous appelons ensemble l'interne de garde qui est disponible immédiatement. Elle part avec lui en me lançant un dernier petit sourire incertain. 


Je suis en pleine relève avec ma collègue de nuit lorsqu'elle frappe à la porte de notre bureau. Ce n'est plus la même femme : son visage porte cette lumière si particulière de la vie et elle me tend en tremblant l'image que lui donnée l'interne, celle d'un enfant en devenir en pleine forme !
Elle me serre dans ses bras et part très vite avec un "merci" qui semble venir du plus profond d'elle même. 

Cinq mois plus tard, je suis de nouveau d'après-midi en suites de couche et une auxiliaire de puériculture vient me voir : "Je crois qu'il y a une dame pour toi."

Ah ? Dans un hôpital, lorsqu'on est sage-femme de base, nous n'avons pas du tout de patientèle à nous. Alors je m'interroge. 

Malgré ses kilos en plus, je la reconnais tout de suite, notamment à son regard affolé qui me cherche et se calme lorsqu'elle me trouve enfin. Sans même que je dise le moindre mot, elle me serre dans ses bras et me souffle très vite "il y a un problème avec le bébé"

Comme la première fois, je l'installe dans mon bureau-cagibi, sur ma petite chaise et comme la première fois, je lui propose un sourire et un verre d'eau. 
Alors elle me raconte qu'on vient de diagnostiquer un kyste de l'ovaire à sa petite fille. Elle me rapporte les mots du médecin, très rassurants mais pas suffisamment pour elle. Elle semble avoir besoin que moi, je lui confirme tout cela. Alors, je reprends les échographies avec elle et ensemble, nous convenons qu'en effet, ce n'est pas anodin mais pas du tout grave. Je lui dis toute ma confiance pour le médecin qui la suit et qui va s'occuper de drainer ces kystes avant la naissance.
Enfin, elle accepte le diagnostic. Enfin, elle souffle en comprenant que ce n'est pas si grave que ça. Elle me quitte rassurée, en me promettant de venir me tenir au courant. Je n'ose lui dire qu'elle n'y est pas obligée, cela semble important pour elle. 

Je la verrai ainsi régulièrement, à chaque ponction, à chacune de ses consultations qui, par le plus grand hasard, ont toujours lieu des jours où je travaille. 
Elle me demande un jour si je serai là pour son accouchement et c'est avec beaucoup de délicatesse que lui explique qu'il m'est impossible de faire une telle promesse. Serai-je de garde en salle d'accouchement, en suites de couche le jour où elle se mettra en travail ? Serai-je tout simplement là ? 
Alors, je lui parle de mes collègues, toutes aussi professionnelles et attentives que moi. Je lui parle de mes collègues qui lui auraient toutes offert ce premier verre d'eau. Elle en convient en souriant.


Je la verrai pour la dernière fois en suites de couche, sa petite fille dans les bras, souriante, heureuse. Et c'est sur un dernier verre d'eau que nous nous quitterons, pour ne plus jamais nous revoir. 

Mais qu'importe, elle n'en avait plus besoin.

vendredi 11 avril 2014

Une si longue nuit...

Encore une garde de nuit qui commence dans le calme dans ma Maternité Adorée. Aucune patiente, mes collègues et moi avons même pour une fois le temps de manger à un horaire quasi normal. Nous en sommes au dessert quand la sonnette nous rappelle à l'ordre. Comme je suis la seule à avoir déjà fini, j'y vais, le sourire aux lèvres.

Je la reconnais tout de suite et je reconnais tout de suite la suite la situation. Elle se tord devant la porte, tenant son tout petit ventre, soutenue par son mari dont le visage crispé laisse transparaitre toute la peur qui le hante. Je la prends délicatement par le bras pour l'emmener en salle de consultation : nul besoin d'un thermomètre pour savoir qu'elle est brûlante de fièvre, nul besoin d'un tocographe pour savoir que les contractions sont déjà à l’œuvre. Son enfant ne devait naitre que dans cinq mois...

Comme l'année précédente, je cherche les bruits de coeur, en vain. 
Comme l'année précédente, je cherche une minuscule activité cardiaque à l'échographie, en vain.
C'est la quatrième fois qu'elle vit cette situation, la seconde en ma compagnie, et même si je sais qu'elle ne me reconnait pas, elle lit sur mon visage l'horrible vérité. Ce sont ses hurlements qui font venir mes collègues, ainsi que le médecin qui confirmera mon diagnostic. 

Pourra-t-on lui laisser le temps d'accepter cette nouvelle ? Impossible, la fièvre a déclenché le travail, elle va accoucher dans les heures qui viennent, et nulle aide médicamenteuse ne lui sera proposée, toujours la faute à cette foutue fièvre. 

Je l'installe en salle d'accouchement, le plus confortablement possible mais rien ne pourra apaiser la douleur qu'elle ressent dans son coeur, dans son corps. Son mari est sous le choc à ses côtés, et j'ai l'impression d'être désormais la seule personne vivante dans cette pièce. 

Les contractions vont et viennent, elle reste prostrée, n'émettant que quelques gémissements au plus fort de la douleur. Je ne sais que faire pour l'aider, elle semble inaccessible à toute parole. Alors, je fais la seule chose qui me parait évidente : je lui prends la main, délicatement afin de ne pas lui imposer une présence. Elle la serre sans me regarder, et ne la lâchera plus.
Les heures s'écoulent, lentement, dans un silence de plomb que seuls ses gémissements viennent rythmer. Le travail avance et c'est aux heures les plus sombres de la nuit qu'elle mettra son enfant mort-né au monde. Alors, elle s'autorisera ce hurlement. Alors, son mari versera des larmes. Et moi avec lui.

Ils passeront une grosse heure avec leur enfant avant de me le confier, ses mots sont déchirants, mélange d'amour et de demande de pardon. 

Alors que je les laisse dans leur chambre, je me rends compte que nos regards ne se sont jamais croisés. Elle était trop tournée vers sa peine pour laisser l'extérieur l'approcher.

Lorsque je reviens en garde la nuit suivante, elle n'est déjà plus là, ayant préféré retourner au plus vite chez elle. Même si je le comprends, cela me laisse un goût d'amertume : ai-je su l'aider ? Aurais-je pu l'aider ? Je ne le saurai jamais. Pas même lorsque je la retrouverai de nouveau un an plus tard, pour l'accompagner dans la naissance par césarienne d'un enfant alors vivant et à terme, son sourire et son bonheur en cet instant m'interdisant de la renvoyer vers un passé qu'elle venait enfin de dépasser.

mardi 8 avril 2014

Baby-boom... Médicalisation versus physiologie ?

Hier soir, je me suis retrouvée à discuter de l'émission Baby-boom sur les réseaux sociaux et cela m'a fait réfléchir une partie de la nuit. 

Je suis loin d'être la première à aborder cette émission de télé-réalité. Dix Lunes en a d'ailleurs parlé à de nombreuses reprises il y a trois ans de ça. (c'est dire que je suis un chouïa à la bourre !). De toute façon, je ne vais pas ici faire une critique de cette émission, mais juste rebondir sur la conversation eue hier, entre une personne hier qui me disait que la médicalisation  la rassurait et moi, qui essayait de lui démontrer les avantages d'un accouchement physiologique. 

Or, cette nuit, je me suis rendue compte que c'était beaucoup trop réducteur. Il n'y a pas de "bons" et de "mauvais" accouchements. Il n'y a que celui qui convient à une femme donnée à un moment donné de sa vie.

Une grossesse, un accouchement sont des moments fondateurs dans la vie d'une femme, d'un couple. La création d'une famille. Et cela ne peut se faire sans de profonds bouleversements pour tous, l'accouchement étant le point culminant de ce passage, point de passage obligé qui confronte à la fois à la peur et à la douleur, à l'inconnu et à des inconnus. C'est pourquoi c'est un évènement dans une vie qui ne devrait pas être négligé, qui ne devrait pas être standardisé. 

Chacune d'entre nous a son propre vécu, ses propres peurs. Chacune d'entre nous porte son propre bagage (et parfois, porte également le bagage que d'autres lui ont - volontairement ou non - transmis, mère, grands-mères, compagnon, amies, sœurs...) et tout ceci va venir créer un mélange d'émotions qui vont venir teinter l'accouchement, et parfois modifier son cours. 
C'est pourquoi on ne peut décider pour une femme uniquement à l'aune de la médicalisation. On ne peut pas non plus le faire à l'aune de la physiologie. Rien n'est blanc ou noir, et le gris est une couleur aux multiples facettes.

Il y a des femmes qui ne vivront sereinement leur accouchement qu'en le sachant entre les mains de personnes savantes, prêtes à agir au moindre signe inquiétant. Il y a des femmes qui savent ce qui est bon pour elles et ne souhaitent pas confier cette responsabilité à d'autres.
Il y a des femmes qui craignent tellement la douleur qu'elles ne vivront leur accouchement sereinement qu'avec une rassurante péridurale. Il y a des femmes qui acceptent cette douleur et apprennent à l'appréhender autrement.
Il y a des femmes qui ont peur de ce qu'elles pourraient devenir si personne n'était là pour les guider.  Il y a des femmes qui ne souhaitent pas être guidées mais seulement accompagnées.
Il y a des femmes qui refusent que d'autres décident pour elles, et d'autres qui ne veulent surtout pas prendre de décision. 
Il y a des femmes qui ne veulent accoucher qu'entourer de personnes connues et d'autres qui ne veulent que des inconnus devant lesquelles elles ne se sentiront pas jugées. 

Il y a des femmes qui veulent accoucher à l'hôpital et d'autres qui veulent donner naissance à la maison. 
Il y a des femmes qui veulent être médicalisées et d'autres qui veulent privilégier la physiologie.

Il y a des milliers de femmes, des centaines de milliers de femmes et aucune n'est semblable à une autre

Dans l'idéal, chacune devrait pouvoir avoir le choix, la possibilité de découvrir ce qui lui convient, à elle, pour cet accouchement-là. Chacune devrait suivre son propre chemin de vie.

Le problème avec Baby-boom, c'est qu'il ne montre pas cela. Il limite l'accouchement à une version médicalisée, protocolisée, qui peut convenir à certaines femmes. Mais pas à toutes. 
Le problème avec Baby-boom, c'est qu'il correspond trop à la seule alternative qui est proposée dans de nombreuses maternités de France, faute de personnel, faute de personnalisation.
Le problème avec Baby-boom, c'est qu'il fait croire aux femmes que c'est leur seule voie et que, de ce fait, elles ne se projettent pas sur leur propre chemin de vie. Avec le risque que, lorsqu'elles en auront pris conscience, elles ne vivent cela comme un échec. 

Il est sûr que parfois, le choix est limité, lorsqu'il n'y a qu'une seule maternité dans une ville, une région. Mais les sages-femmes, elles, ne sont pas limitées et si une femme souhaite suivre son propre chemin, il est rare qu'elle ne trouve pas quelqu'un prête à l'accompagner sur cette voie. Qu'elle quelle soit.

A condition qu'elle le dise.

dimanche 6 avril 2014

Une petit étincelle... pour la physiologie

Il y a 14 ans, j'entrais en école de sages-femmes.
Il y a 10 ans, je quittais l'école de sages-femmes.
J'y ai appris énormément de choses, à la fois théoriques et pratiques. J'ai eu un nombre d'heures impressionnant en obstétrique, en gynécologie, en pédiatrie, mais également en bactériologie, en parasitologie, en psychologie, sociologie, sexologie... La pharmacologie et le droit étaient également au programme, de même que la santé publique et l'anesthésiologie. 
En stages, j'ai effectué beaucoup d'heures dans divers maternités de niveau 3 (adaptées pour la prise en charge des pathologies maternelles et fœtales et la réanimation des grands prématurés), un peu moins dans les niveaux 2 (pathologies et prématurité moins graves) et quelques unes en niveau 1 (officiellement pas de pathologie et pas de prématurés... en tout cas, pas de prévus).  Les stages en "salle d'accouchement" étaient alors les plus fréquents (un stage sur deux se passait en salle d'accouchement, ce qui n'est plus forcément le cas dans le programme actuel). J'avais donc une certaine expérience du suivi de travail et de l'accouchement. Enfin, de l'accouchement médicalisé.

Je savais poser une perfusion de syntocinon, rompre une poche des eaux, pratiquer une épisiotomie et la suturer. J'avais pratiqué plusieurs délivrances artificielles et révisions utérines (lorsque le placenta ne sort pas de l'utérus et qu'il faut aller le chercher). 
J'avais principalement accompagné des femmes sous analgésie péridurale mais aussi quelques unes sans.

Bref, mes études de sage-femme avaient fait de moi une parfaite praticienne de la naissance médicalisée. A un détail près.

Lors de mon stage entre la troisième et la quatrième année d'école de sage-femme, j'avais choisi avec une amie d'aller dans une petite maternité du sud, au bord de la mer. Notre motivation principale n'était pas le moins du monde en rapport avec la maternité choisie mais bien avec sa proximité immédiate des plages. Et pour autant, c'est de là qu'est venue l'étincelle qui allait tout changer. 

C'était une petite maternité. La nuit, la sage-femme gérait à la fois la salle d'accouchement et le service des suites de couches (une quinzaine de lits, comme on dit). L'équipe était jeune et sympa. Mais tout aussi médicalisante que les autres équipes que j'avais rencontrées. Sauf une sage-femme. 
Une sage-femme qui, une nuit, me parla de l'accouchement sur le côté et me montra comment le mettre en pratique. En une nuit, je passai alors de l'ignorance crasse à la pratique, au cours de trois magnifiques accouchements, avec et sans péridurale, sur des primipares et des multipares. J'étais conquise, les femmes également. 

Le stage se finit et je retournai terminer mon année et mon cursus, sans plus pouvoir pratiquer cet accouchement "alternatif".

Diplômée, je rejoignis l'équipe de ma petite Maternité Adorée. 
Les sages-femmes y avaient une grande autonomie (les médecins assuraient les consultations en même temps que leur garde, ils ne pouvaient donc être tout le temps auprès de nous et étaient donc dans l'obligation de nous faire confiance) et les femmes y accouchaient très souvent sans péridurale (la "faute" principalement aux anesthésistes qui exigeaient un bilan de moins de 24 h... et qui assuraient également les urgences en plus de la maternité, autant dire que notre taux de péridurale n'était pas très élevé... mais pas forcément au grand plaisir des patientes). J'y ai donc découvert une forme de physiologie où il fallait bien trouver des solutions pour ces femmes algiques. Pour autant, elles accouchaient toutes en position gynécologiques. 

Au bout de six mois, je me sentais moins "novice" et l'envie de pratiquer des accouchements sur le côté me prit. Hésitante, craignant des plaintes des médecins, j'ai pas mal hésité. Et puis, un jour, aidée par une maman "ouverte" et confiante, je me suis lancée. Avec succès. La naissance se passa très bien, la maman était heureuse. 
Je recommençai, généralement les nuits et les week-end, d'abord avec des multipares sans péridurales, puis finalement des primipares, avec ou sans péridurale. Je pris confiance en moi. Et décidai alors que je ne voulais plus faire cela en cachette. Je me mis donc à le proposer même lorsque j'étais de jour, même lorsque les médecins étaient dans les parages. Je participais ainsi à l'accouchement de plusieurs femmes de médecins/médecins. Toutes étaient satisfaites et je n'avais que très peu d'échecs (principalement parce qu'il suffisait dans ce cas-là de repasser la dame sur le dos). 

A cette époque, la cadre de la Maternité Adorée exigeait que toutes les sages-femmes réalisent un "objectif" tous les ans : faire une revue de la littérature, participer à l'élaboration d'un protocole, recenser les livres de la bibliothèque médicale du service... Cela pouvait être varié. Les sages-femmes détestaient cela, n'y voyant qu'une contrainte de plus. Pour ma part, j'y voyais l'occasion de pouvoir faire avancer les choses. 

C'est ainsi qu'avec trois collègues, nous proposâmes à la cadre de faire un travail sur les positions pendant le travail, puis l'année suivante sur les positions d'accouchement
Nous étions toutes les quatre dans une mouvance de respect de la physiologie et il nous semblait que seul un vrai travail scientifique, documenté, permettrait aux médecins, ainsi qu'aux collègues récalcitrantes, de poser un regard neuf sur leurs pratiques. 

Nous étudiâmes tous les aspects possibles : histoire de la naissance, mécanique obstétricale, hormonologie, physiologie de la respiration et de la poussée, musculature périnéale...
La première année, nous proposâmes un organigramme à destination des patientes, qui fut (et est toujours) utilisé lors des cours de préparation à la naissance. Il s'agissait principalement de "guider" les patientes sans pour autant les enfermer dans un schéma. Il s'agissait également de proposer aux sages-femmes d'autres options que le "tout-dos", notamment quand la femme avait rompu la poche des eaux. Nous nous amusâmes beaucoup à prendre différentes photos avec ballons, coussins, draps, dans toutes les positions possibles afin d'illustrer notre propos. 
La seconde année, nous fîmes une enquête auprès des femmes afin de recueillir des données à présenter aux médecins. A travers une vingtaine d'accouchement (25-26 sur le côté et 1 accroupi, voir le billet précédent), nous leur montrâmes qu'il n'y avait pas plus de risques de déchirures, d'hémorragie qu'en position gynécologique, que les enfants se portaient bien et que les femmes étaient satisfaites. Deux films réalisés avec l'accord des femmes furent tournés afin de montrer aux médecins et sages-femmes la réalité d'un accouchement sur le côté. 

Nous présentâmes nos résultats au cours de deux soirées de colloques auxquels étaient conviés les professionnels de santé de l'hôpital mais également ceux exerçant en libéral. Même si certains restaient sceptiques (certains notamment mettaient en avant le fait d'être dans le dos de la femme, que cela avait un côté bestial...), la grande majorité reconnaissait que cela pouvait être une alternative intéressante. 

A la suite de ces présentations, plusieurs sages-femmes nous demandèrent de leur montrer comment installer une femme sur le côté pour un accouchement et se lancèrent. Ce fut le début d'un retour de la physiologie dans la maternité. Les femmes étaient toujours sous perfusion, le syntocinon coulait toujours à flot mais il y avait un début de réflexion et le systématique commença petit à petit à disparaitre de notre pratique, remplacé par une réflexion sur ce qui pourrait vraiment aider les femmes.

Lorsque je partis en mutation deux ans après ces travaux, le service s'était engagé dans un projet sur la mobilisation : de nouvelles tables d'accouchement avaient été testées puis achetées afin de mieux s'adapter aux différentes positions, toutes les sages-femmes allaient suivre une formation en mobilisation (formation Bernadette de Gasquet pour les initiés). 
Aujourd'hui, la maternité dispose d'un plateau technique où certaines sages-femmes libérales peuvent accompagner leurs patientes dans un respect total de la physiologie.

Je n'oserai jamais dire que tout ceci est arrivé grâce à mon passage dans cette maternité. Les échos des autres maternités montrent que c'est justement à cette période qu'une réflexion s'est mise en place sur la physiologie en maternité. Comme si de nombreuses sages-femmes en France avaient eu le "déclic" en même temps. On peut y voir plusieurs effets combinés : une prise de conscience des femmes de ce qu'elles souhaitaient, un ras-le-bol des sages-femmes du "tout standardisé", un matériel se mettant au service de la maternité (les ballons, les tables ne pouvant qu'inciter les plus récalcitrants à voir en quoi ils pouvaient bien être utile !)... Les choses semblaient prendre inexorablement une autre voie. Toute la question étaient alors de savoir quand cela toucherait une maternité. Notre maternité y était prête, il ne lui manquait que l'étincelle. Ce fut moi, cela aurait pu être n'importe laquelle des sages-femmes qui nous rejoignirent par la suite et qui étaient déjà dans cette mouvance.

(Pour autant, l'honnêteté m'oblige à nuancer ce propos : la physiologie est rentrée dans les maternités... du moins dans celles qui pouvaient le permettre. Il est évident que lorsqu'une maternité est un niveau 3 et ne gère que de grosses pathologies maternelles et fœtales, il est plus difficile de pouvoir la respecter : les déclenchements et césariennes y sont nombreux, les équipes sont surchargées de travail et leur esprit est principalement concentré sur le "hic-qui-ne-doit-pas-arriver". Difficile dans ces situations de s'autoriser, d'autoriser les femmes à cette liberté, à cette non-maîtrise que nécessite le respect de la physiologie. Mais, cela arrive et généralement, les sages-femmes essayent le plus possible de trouver des arrangements ;-)   ).